A dix siècles de distance, en partant l’un de Mossoul et l’autre d’Alger, comment peut-on se retrouver sur les rives du savoir ? Ces deux-là ont trouvé leur planche de salut dans le langage et ses ramifications. Le premier, Ibn Jenni, a vécu dans la somptueuse et splendide Baghdad du dixième siècle, alors que le second, Jacques Derrida, a traversé à partir d’Alger les trois-quarts du vingtième siècle.
Ces deux géants de la pensée, et pas des moindres dans toute l’histoire du savoir, n’avaient de cesse de bouger tous azimuts. L’un, dans les différents champs sémantiques de la linguistique, l’autre, dans tout ce qui a trait aux choses de l’être comme point de départ vers la vastitude de l’existence.
Le langage a été pour eux un passage obligé pour parvenir à leur but intellectualiste. Cette bougeotte répétée de leur part, pour ne pas dire mouvement perpétuel, nous les fait voir comme ces bateliers de la Volga du XIXe siècle.
On les entend ahaner et chanter en tirant sur des chemins de halage leurs embarcations et péniches pour les amarrer à un piton ou un débarcadère de fortune avant de poursuivre leur travail de forçats à longueur d’année. Par bien des aspects, le travail sur le langage n’est-il pas semblable à celui des galériens ? Ils étaient toujours en partance vers quelque destination. A peine déchargée leur cargaison – et quelle admirable cargaison ! – et les voilà à nouveau en route. Les brûlures du langage deviennent des stigmates éternelles.
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