ANKARA: Parallèlement aux informations selon lesquelles les États-Unis ont retiré leur soutien au gazoduc EastMed en raison de préoccupations économiques et environnementales, Ankara est sur le point de proposer des sources d'énergie alternatives.
Le projet EastMed, qui devait être achevé d'ici à 2025, visait à réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis du gaz russe en acheminant chaque année 10 milliards de mètres cubes de gaz des eaux israéliennes et chypriotes vers le réseau gazier européen via un gazoduc de 1 900 km de long.
La Turquie a longtemps rejeté le projet EastMed, qui dispose du soutien de la Grèce, de Chypre et d'Israël. L'administration Trump avait également approuvé le pipeline.
Lors d'une visite en Albanie, le 18 janvier dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré aux journalistes que ce projet «ne peut pas fonctionner sans la Turquie».
«Ce projet ne peut pas se réaliser. [Les États-Unis] ont effectué toutes les analyses et ils ont reconnu que cela n'avait aucun avantage. En d'autres termes, comme les coûts ne se justifiaient pas, ils s’en sont retirés.»
Au milieu des discussions sur une éventuelle visite officielle du président israélien, Isaac Herzog, Erdogan a déclaré mardi dernier que la Turquie et Israël avaient précédemment tenté de coopérer sur les ressources énergétiques, mais que les négociations en question n'avaient jamais été poussées loin.
«La perte d'intérêt des États-Unis pour le gazoduc EastMed est principalement fondée sur le changement d'orientation de leur politique énergétique et sur les multiples défis économiques, géopolitiques, techniques et environnementaux auxquels le gazoduc est confronté», a déclaré à Arab News Madalina Sisu Vicari, experte en énergie de l'Eurasian Energy Chamber, à Washington.
«En ce qui concerne l'énergie de la région de la Méditerranée orientale, l'intérêt des États-Unis se porte principalement, désormais, sur les interconnexions électriques capables de prendre en charge à la fois le gaz et les sources d'énergies renouvelables, telles que l'interconnexion EuroAsia, qui relie les réseaux électriques israélien, chypriote et européen, et l'interconnexion électrique sous-marine EuroAfrica, qui rattache l'Égypte à la Crète et à la Grèce», a-t-elle ajouté.
Selon Sisu Vicari, d'autres acteurs de la région de la Méditerranée orientale ont commencé à favoriser les opportunités et les projets énergétiques au-delà du domaine du gaz naturel, et ces efforts pourraient remodeler l'environnement géopolitique de la région.
«Par exemple, l'Égypte, la Grèce et Chypre ont signé, au mois d’octobre dernier, deux mémorandums de coopération sur l'interconnexion pour le transport de l'énergie électrique. L'un vise à connecter leurs réseaux électriques, l'autre à relier leurs systèmes électriques à celui de l'Égypte via un câble sous-marin», a-t-elle précisé.
«Cette dernière interconnexion transmettra l'électricité produite par les énergies renouvelables en Afrique du Nord vers l'Europe; c’est la première infrastructure de ce type en Méditerranée orientale.»
En outre, Sisu Vicari a fait remarquer que le changement de position de Washington sur le pipeline EastMed pourrait également refléter les sautes d'humeur d'Israël, car ce projet n'est pas compatible avec les objectifs environnementaux annoncés par le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, qui s'est engagé à zéro émission d'ici à 2050.
Les experts notent que l'évolution de la dynamique régionale pourrait ouvrir une fenêtre d'opportunité à la Turquie pour renforcer sa coopération énergétique avec Israël.
Dans le cadre de ses efforts destinés à rétablir les liens avec ses anciens ennemis, la Turquie a déjà signalé qu'elle était prête à transporter le gaz israélien vers l'Europe via ses territoires.
«Nous pouvons nous asseoir et discuter des conditions», a récemment déclaré Erdogan, qui a ajouté que la Turquie pourrait utiliser l'énergie «comme un outil de paix» dans la mesure du possible.
Sisu Vicari a observé qu'il restait à voir si un tel accord énergétique viserait uniquement le transport de gaz ou s’il comprendrait d'autres domaines de coopération énergétique.
«Un accord sur l'énergie aurait des implications géopolitiques importantes non seulement pour les relations bilatérales entre la Turquie et Israël, mais aussi pour l’ensemble de la région de la Méditerranée orientale», a-t-elle déclaré.
Aydin Sezer, un expert en énergie d’Ankara, a fait savoir qu'il ne serait pas possible de lancer un nouveau gazoduc si les autorités décidaient un jour d’un projet commun pour transporter du gaz vers l'Europe via les territoires turcs.
«Un gazoduc arabe, un gazoduc transrégional destiné à transférer du gaz naturel, existe déjà. Ce gazoduc, qui transportera du gaz naturel égyptien vers l'Europe en passant par le Liban, la Jordanie, la Syrie et le Liban, devrait être connecté à la Turquie lorsque le réseau syrien sera entièrement construit et lorsque le tronçon Homs-Alep sera achevé», a-t-il expliqué à Arab News.
Le premier segment de la connexion Syrie-Turquie du gazoduc arabe entre Alep et la ville frontalière turque de Kilis a déjà été construit.
Les ministres turc et israélien de l'Énergie avaient mené d'intenses négociations en 2017 lorsqu’il était question de construire un projet de pipeline entre la Turquie et Israël .
«Il s’agissait d'un gazoduc de 500 km de long qui traverserait les zones maritimes de Chypre, ou celles de la Syrie, ou les deux, afin de transporter du gaz du Leviathan vers l'Europe via les territoires turcs», a précisé Sezer.
«Au-delà de la dimension du droit maritime international, les entreprises turques ont trouvé ce projet trop coûteux.»
«Cependant, le flanc nord de l'Égypte abrite d'importantes réserves de gaz, ce qui devrait encourager la Turquie à se concentrer sur cette zone plutôt que de construire de nouvelles lignes», a indiqué Sezer.
Selon ce dernier, tout nouveau projet gazier avec Israël pourrait nuire à des relations régionales déjà fragiles et être utilisé par Téhéran comme un prétexte pour arrêter le flux de gaz vers la Turquie, en particulier dans des conditions hivernales difficiles.
Mercredi dernier, l'Iran a coupé les flux de gaz vers la Turquie, prétendument en raison d'une défaillance technique, ce qui a incité plusieurs experts à se demander s'il s'agissait d'une réaction de Téhéran contre la visite prévue de Herzog en Turquie.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com