ROME : Le Parlement italien se réunit lundi pour élire un nouveau président de la République, un poste prestigieux pour lequel le Premier ministre Mario Draghi apparaît le mieux placé dans le cadre d'un jeu de chaises musicales menaçant la survie de l'exécutif.
Alors que les coulisses bruissent de négociations, l'ex-Premier ministre Silvio Berlusconi a été le plus agressif dans sa campagne, allant jusqu'à se vanter de ses sulfureuses soirées "bunga bunga".
Le milliardaire de 85 ans rêve depuis longtemps d'un septennat sous les ors du palais du Quirinal, même si les observateurs doutent qu'il dispose des votes nécessaires.
Il est notoirement difficile de prédire le vainqueur de cette élection à bulletins secrets, un mode de scrutin propice aux rebondissements.
Le président, au rôle essentiellement honorifique, exerce toutefois un pouvoir considérable en cas de crise politique, qu'il s'agisse de dissoudre le Parlement, de choisir le Premier ministre ou de refuser des mandats à des coalitions fragiles.
Et l'Italie a plus que jamais besoin de stabilité: les partis appartenant à la coalition disparate soutenant Draghi sont déjà en ordre de bataille en vue des législatives de l'an prochain. Et le chaos pourrait mettre en danger la mise en musique du volant italien du plan de relance européen post-Covid.
"C'est une élection clé et très compliquée, parce que les partis politiques sont faibles, ils sont dans un état de fragmentation totale", explique à l'AFP Giovanni Orsina, directeur de la Luiss School of Government à Rome.
Du palais au scrutin, cinq choses à savoir sur le président italien
L'Italie doit élire à partir de lundi un successeur au président de la République Sergio Mattarella, dont le septennat s'achève le 3 février.
Election, mode d'emploi
Le président est élu pour sept ans au suffrage indirect par une assemblée composée des membres des deux chambres du Parlement (630 députés + 320 sénateurs, contre normalement 321 mais l'élection d'un sénateur a été annulée). S'y ajoutent 58 délégués des régions. Soit au total 1 008 "grands électeurs".
Aux trois premiers tours, une majorité des deux tiers (672) est requise. A partir du 4ème tour, la majorité absolue (505) est suffisante.
Le vote a lieu à bulletins secrets dans l'hémicycle du palais Montecitorio, siège de la Chambre des députés.
En raison des contraintes de sécurité liées à la crise sanitaire, un seul tour de scrutin sera organisé par jour. Le pass sanitaire est actuellement exigé pour accéder au parlement, ce qui empêcherait à ce stade les électeurs positifs d'exprimer leur vote.
Les pouvoirs du président
Le président, chef de l'Etat et garant de la Constitution, nomme le Premier ministre et, sur proposition de ce dernier, les ministres.
En cas de crise politique, son rôle est crucial, car il dispose d'une certaine latitude pour choisir le Premier ministre: cela a été le cas par exemple lorsque Giorgio Napolitano a désigné Mario Monti en 2011 ou lorsque Sergio Mattarella a appelé Mario Draghi en 2021.
Il a le pouvoir de dissoudre le Parlement et éventuellement de renvoyer les lois au Parlement lorsqu'elles lui sont présentées pour promulgation.
Il préside le Conseil supérieur de la magistrature, nomme un tiers des membres de la cour constitutionnelle, et dispose du droit de grâce.
Les candidats
Le président doit avoir la nationalité italienne et être âgé d'au moins 50 ans.
L'actuel Premier ministre Mario Draghi, resté silencieux jusqu'ici sur ses intentions, tient la corde, même si son élection poserait le problème de son remplacement à la tête de la large coalition hétéroclite actuellement au pouvoir, qui va de la droite souverainiste à la gauche.
Parmi les autres noms circulant dans la presse figurent notamment les anciens Premiers ministres Silvio Berlusconi (85 ans, droite) et Giuliano Amato (83 ans, centriste), le commissaire européen à l'Economie Paolo Gentiloni (67 ans, gauche), et l'ancien président de la Chambre des députés Pier Ferdinando Casini (66 ans, centriste).
Beaucoup souhaitent aussi qu'une femme accède pour la première fois à la fonction suprême : dans ce cas, la présidence pourrait échoir à la ministre de la Justice Marta Cartabia (58 ans, centre-droit) ou à sa prédécesseure Paola Severino (73 ans, centre-droit), sans oublier la présidente du Sénat Elisabetta Casellati (66 ans, droite).
Histoire de l'élection
La république italienne a connu douze présidents. Seul l'un d'entre eux, Giorgio Napolitano (2006-2015), a obtenu un second mandat.
Traditionnellement, ce poste ne revient pas à un chef de parti mais à une personnalité jugée au-dessus des partis. Souvent, les personnalités citées en amont de l'élection en sortent bredouille et le poste échoit à un nom sorti du chapeau durant les opérations de vote.
En 2013, Romano Prodi, bien qu'auréolé du prestige de son passage à la présidence de la Commission européenne et investi par le parti démocrate (PD, gauche), fut trahi par une partie de ses soutiens et Giorgio Napolitano fut finalement reconduit.
Le palais du Quirinal
Le siège de la présidence de la République est le palais du Quirinal, ancienne résidence des papes et des rois d'Italie (de 1870 à 1946) perchée au sommet de la colline du même nom.
Construit à partir de 1573, le Quirinal, orné de multiples œuvres d'art, est l'un des plus importants palais romains: à l'origine résidence d'été des papes, il devint leur résidence principale en tant que souverain temporel, par opposition au Vatican siège de leur pouvoir spirituel: 30 papes au total y ont résidé, de Grégoire XIII à Pie IX.
Sous le joug des troupes napoléoniennes, l'empereur y fit effectuer des travaux pour en faire sa résidence romaine, mais n'y mit jamais les pieds.
Lors de la proclamation de la République, intervenue après le referendum mettant fin à la royauté de 1946, ce somptueux palais de 110.500 m2 devint la résidence du chef de l'Etat. Parmi les palais présidentiels du monde, seul celui du président turc à Ankara est plus étendu.
Séisme
Selon le quotidien de référence Il Corriere della Sera, le vote pourrait "frapper le gouvernement comme un séisme", alors que l'Italie lutte contre une nouvelle vague de Covid-19 qui risque de perturber la reprise après la récession de 2020.
Ex-président de la Banque centrale européenne, M. Draghi, 74 ans, a laissé entendre qu'il était intéressé, mais son élection laisserait vacant son poste actuel à un moment très délicat.
Nommé par le président sortant Sergio Mattarella en février 2021, M. Draghi a réussi à maintenir l'unité d'un gouvernement composé de presque tous les partis politiques italiens, tout en relançant la croissance économique.
Il a également supervisé les réformes clés exigées en échange des fonds du plan de relance de l'UE, dont Rome est le principal bénéficiaire avec environ 200 milliards d'euros.
Les investisseurs internationaux craignent que l'Italie, criblée de dettes, prenne du retard sur le calendrier serré des réformes au cas où M. Draghi quitterait son poste de Premier ministre.
Un millier de sénateurs, députés et représentants régionaux commenceront à voter lundi.
Pour être élu, il faut deux tiers des voix aux trois premiers tours, puis la majorité absolue aux tours suivants.
En raison des mesures de sécurité liées au Covid, chaque tour prendra une journée et, comme le veut la tradition, il n'y a théoriquement pas de candidats officiels.
Année pré-électorale
La plupart des experts estiment que M. Draghi serait mieux placé en tant que président pour assurer la stabilité politique et les bonnes relations avec Bruxelles, en particulier si la droite et l'extrême droite remportaient les élections prévues en 2023.
Il est également loin d'être acquis qu'il serait en mesure de continuer à poursuivre les réformes s'il restait en place. Et il risque de perdre son poste de toute façon lors des prochaines législatives.
"C'est une année pré-électorale. Même si Draghi restait Premier ministre, la vérité, c'est qu'il aurait du mal à contrôler la situation politique", les partis politiques se livrant à une surenchère en vue des législatives, selon M. Orsina.
Une éventuelle solution consisterait à nommer comme Premier ministre le doyen du gouvernement actuel, Renato Brunetta, 71 ans, membre du parti de Berlusconi Forza Italia (droite), les chefs des principaux partis de la coalition occupant alors les postes ministériels les plus importants jusqu'aux élections.
Si M. Draghi reste Premier ministre, de nombreux autres noms circulent pour le poste de chef de l'État, notamment ceux du commissaire européen Paolo Gentiloni, de l'ancien Premier ministre socialiste Giuliano Amato ou de la ministre de la Justice Marta Cartabia, qui serait la première femme présidente.