JISR AL-ZARQA: Avec sa façade bleue, l'unique hôtel de Jisr al-Zarqa détonne avec le gris foncé du centre ville. Erigé comme modèle de coexistence entre juifs et arabes en Israël, il aurait dû accueillir des centaines de visiteurs cet été mais la pandémie pourrait entraîner sa disparition.
«J'ai récemment découvert un endroit magnifique, un petit hôtel fondé par une juive et un arabe. S'il-vous-plaît, donnez ce que vous pouvez pour sauver cette charmante auberge qui fait face à de gros problèmes à cause du coronavirus», a récemment imploré la chanteuse israélienne Noa sur Facebook.
Comme elle, des célébrités et des anonymes se mobilisent en Israël pour sauver l'établissement ouvert en 2014 dans cette ville de 15.000 habitants.
Car dans un pays aux frontières fermées à cause du nouveau coronavirus et reconfiné pour lutter contre une recrudescence de cas, les touristes ne sont plus qu'un souvenir.
Mais la «Juha's Guesthouse», installée dans la seule ville arabe de la côte israélienne, n'est pas une simple maison d'hôtes.
Aux antipodes de Césarée, ville israélienne huppée connue pour ses ruines antiques située à proximité, «Jisr» fait figure de cité oubliée avec ses rues délabrées et sa plage parsemée de carcasses de bateaux.
«L'idée était de développer le potentiel touristique de la ville», explique Ahmad «Juha» Jorban, propriétaire du petit hôtel.
«La plupart des gens qui roulent le long de la côte n'y sont jamais entrés», poursuit Naama Goldman-Shwartz, 45 ans, aux commandes après le départ de la cofondatrice Neta Henien en 2018.
Le duo contribue à la renaissance et au développement de cette ville de pêcheurs, l'une des plus pauvres d'Israël.
«Mauvaise réputation»
Pour Ahmad, l'hôtel sert aussi de «pont» connectant juifs et arabes.
L'établissement propose des visites, des cours de cuisine et d'arabe. «La langue rapproche les coeurs et aide à changer les a priori», dit l'homme au regard clair.
Dans la galerie ornée de photos et de macramés faisant habituellement office de réception, Ahmad et Naama se réjouissent d'avoir contribué à changer l'image de la ville, davantage connue pour sa criminalité que pour sa paisible plage.
«On a réussi à faire venir des milliers de touristes israéliens mais aussi du monde et grâce à cela nous avons pu changer cette image négative», relate l'homme de 50 ans.
«Les gens qui viennent ici voient la ville d'un autre oeil lorsqu'ils repartent», renchérit sa partenaire aux boucles rousses.
Avec un dortoir et cinq chambres, d'une capacité totale de 18 couchages, un salon et une cuisine commune où un poster présente des recettes de «plats israélo-arabes», l'établissement offre un confort simple.
«Carburant»
Il a servi de catalyseur: grâce à sa clientèle, des cafés ont ouvert en bord de mer et même un restaurant face à la mosquée.
Elle soutient aussi le développement socio-économique avec des cours favorisant l'accès à l'emploi des habitants. Les femmes sont notamment incitées à créer leur entreprise (macramés, bijoux, cuisine).
«Un programme visait à améliorer l'estime de soi des jeunes», explique Naama. «Ca les a renforcés au point que certains ont entrepris de grandes études grâce à l'anglais qu'ils y ont appris».
«Maintenant, tout tombe à l'eau! En raison du coronavirus, l'endroit s'effondre économiquement, les dettes s'accumulent", affirme une page dédiée à une collecte de fonds.
Plus de 1.200 personnes ont déjà donné 260.000 shekels (environ 65.000 euros).
«Cette collecte, c'est un peu plus de carburant», confie Naama. «On veut montrer que le tourisme a sa place à Jisr et qu'il y a de l'espoir pour le futur de cette population».