PARIS: L'Etat va contraindre EDF à vendre davantage d'électricité à bas prix à ses concurrents, a annoncé jeudi soir le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, soucieux de protéger le pouvoir d'achat des Français à trois mois de l'élection présidentielle.
Le gouvernement veut ainsi tenir sa promesse de limiter à 4% la hausse de la facture d'électricité des Français en 2022 en pleine flambée des cours de l'énergie et dans un contexte de haute inflation.
"On est sur plus de 20 milliards en 2022 de mesures qui visent à limiter la hausse des prix de l'électricité", a précisé Bercy dans la soirée, qui a rappelé le versement de chèques énergie et d'une indemnité inflation aux ménages les plus modestes.
L'exécutif, qui avait déjà réduit au maximum la principale taxe sur l'électricité -mesure insuffisante pour contenir cette flambée-, va "mettre en œuvre une mesure complémentaire en augmentant de 20 térawattheures (TWh) le volume d'électricité nucléaire vendu à prix réduit par EDF à ses concurrents, pour le faire passer à titre exceptionnel de 100 à 120 TWh", a annoncé le ministre dans un entretien au Parisien.
"Ces volumes seront accessibles à tous les consommateurs, particuliers, collectivités comme professionnels, via leur fournisseur, selon des modalités qui seront précisées très prochainement", a précisé le ministère de la Transition écologique dans un communiqué.
"Les fournisseurs répercuteront intégralement l’avantage retiré au bénéfice des consommateurs. Ce point fera l'objet d’une surveillance étroite, en lien avec la Commission de régulation de l’énergie", ajoute le ministère.
Cette mesure coûtera entre 7,7 et 8,4 milliards d'euros à EDF, a estimé Bruno Le Maire, en terme d'impact sur son excédent brut d'exploitation.
Fin septembre, le Premier ministre Jean Castex avait annoncé "un bouclier tarifaire" sur l'énergie avec notamment une limitation à 4% de l'augmentation des tarifs réglementés de l'électricité en 2022.
Les cours, dopés par la reprise économique mondiale, n'ont cessé d'augmenter depuis, mais le gouvernement n'est pas revenu sur sa parole.
Il envisageait depuis décembre de relever ce plafond de l'Arenh ("accès régulé à l'électricité nucléaire historique") pour que les fournisseurs disposent de plus d'électricité bon marché à prix fixe, quitte à augmenter légèrement le prix réglé à EDF.
Pas de rattrapage en 2023
Alors qu'elle est actuellement vendue à 42 euros du mégawatt/heure (au lieu de quelque 250 euros sur le marché actuellement) par EDF à ses concurrents, le gouvernement a "proposé de relever ce prix de vente de 42 à 46,2 euros/MWh, ce qui permet de réduire la facture pour EDF", a indiqué Bruno Le Maire.
Le gouvernement avait déjà réduit au maximum la principale taxe sur l'électricité, en la faisant passer de 22,50 euros le mégawattheure à 50 centimes, "une décision qui représente une perte fiscale pour l'État de 8 milliards d'euros", a-t-il précisé.
Cette mesure "permettait de couvrir environ 15 points de hausse du prix de l'électricité", selon le ministre, très "loin des 35% à venir dans deux semaines".
"Du coup, ça ne va pas être 40% de la production d'EDF, mais 50% qui va être en soldes permanentes à la concurrence", a réagi auprès de l'AFP Philippe Page le Mérour, secrétaire (CGT) du CESC d'EDF à l'évocation de cette mesure. Il avait d'ores et déjà pesté dans la semaine contre ce mécanisme, le qualifiant de "poison" qui contribue à la dette d'EDF.
"Nous remercions EDF de faire cet effort pour l'intérêt général, évidemment nous serons aux côtés d'EDF pour les aider à passer cette difficulté", a déclaré Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique sur LCI.
L'énergéticien est déjà aux prises avec de nouveaux retards de livraison de son réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR en construction à Flamanville (Manche) et avec des problèmes de corrosion sur d'autres réacteurs des générations précédentes, mis à l'arrêt.
Dans la soirée, EDF a suspendu l'une de ses prévisions financières (celle du ratio d'endettement net sur l'excédent brut d'exploitation), qu'il n'est plus certain de pouvoir tenir avec cette demande du gouvernement.
"Les conséquences financières pour le groupe EDF ne peuvent pas être déterminées de façon précise à ce stade", a prévenu l'énergéticien qui a expliqué "examiner les mesures appropriées pour renforcer sa structure bilancielle et toute mesure de nature à protéger ses intérêts", sans préciser davantage.
Saluant l'annonce du gouvernement, l'Uniden (Union des industries utilisatrices d'énergie) a exprimé le voeu qu'elle contribue "à relâcher les tensions sur le marché de gros de l’électricité".