PARIS : Ils ont relevé les empreintes, épluché les fadettes, multiplié les auditions et les perquisitions... Au procès des attentats de janvier 2015, les enquêteurs ont reconstitué mercredi le puzzle liant les accusés aux auteurs des attaques, en se penchant sur la question des armes.
Aide à l'acquisition de fusils d'assaut et de pistolets pour les uns, achat de gilets tactiques et de Taser pour les autres: pas à pas, ces policiers ont détaillé les éléments qui valent à une partie des 14 accusés d'être jugés devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Un travail d'investigation « complexe » et « minutieux », ont souligné les enquêteurs, en évoquant les précautions prises par les frères Kouachi et Amédy Coulibaly pour échapper aux radars et effacer les traces de la préparation des attentats, qui ont fait 17 morts.
Au cours des quatre années d'investigations, jamais les policiers ne sont parvenus à établir le circuit ayant permis à Chérif et Saïd Kouachi d'acquérir leur arsenal -- deux fusils d'assaut, deux pistolets automatiques et un lance-roquettes.
Concernant Amédy Coulibaly, huit des armes retrouvées dans l'Hyper Cacher ou dans l'appartement "conspiratif" loué par le tueur à Gentilly (Val-de-Marne) ont vu leur provenance confirmée. Mais des zones d'ombre demeurent sur la façon exacte dont il les avait récupérées.
Selon les enquêteurs, ces huit armes ont été achetées à une société slovaque, qui les vendait démilitarisées. A l'origine de cette commande, un trafiquant lillois, connu comme une figure de l'extrême-droite dans la région: Claude Hermant, ancien indicateur des douanes et des gendarmes.
« Claude Hermant remilitarisait les armes », explique une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste (SDAT), jean bleu et veste kaki. « La balistique a montré que des munitions retrouvées chez lui et à l'Hyper Cacher avaient le même marquage », ajoute-t-elle.
« Peu de certitudes »
Comment cet arsenal est-il passé des mains de Claude Hermant à celles du jihadiste ? Au cours des investigations, plusieurs traces d'ADN ont été identifiées sur des armes ou des billets de banque appartenant au tueur de l'Hyper Cacher. Parmi elles, celles de Nezar Mickaël Pastor Alwatik, Amar Ramdani et Saïd Makhlouf.
Mais c'est surtout le rôle des deux derniers qui concentre les soupçons. Entre octobre et décembre 2014, les deux accusés, qui se présentent comme des cousins éloignés, se sont rendus à six reprises dans la région lilloise, selon leurs relevés téléphoniques.
Pourquoi ces multiples allers-retours ? En garde à vue, Saïd Makhlouf a raconté être allé voir des prostituées et qu'Amar Ramdani l'avait « accompagné ». Des déclarations jugées peu crédibles par l'avocat général: « Lille, ça fait un peu loin. Des prostituées, il y en a à Paris », estime-t-il.
Voyage à des fins personnelles ou déplacement réalisé à la demande d'Amédy Coulibaly ? « Ce qui pose question, c'est le silence de Ramdani et Makhlouf pendant toute la durée de l'instruction », juge l'enquêtrice. « Jamais ils n'ont donné d'éléments permettant de vérifier leurs déclarations ».
Un manque de coopération également reproché à Mohamed Fares, fils de l'employeur de Saïd Makhlouf. Ce trentenaire, mis en cause dans le dossier des attentats par un courrier anonyme envoyé fin 2017, est soupçonné d'avoir servi d'intermédiaire avec le réseau de Claude Hermant.
A-t-il traité directement avec le trafiquant ? Que savait-il de la destination des armes ? A l'écoute du récit fait par les enquêteurs, son avocate s'agace. "Dans ce dossier, il y a beaucoup de trous dans la raquette", insiste Me Safya Akorri, jugeant "ténus" les éléments mis en avant par l'accusation.
Un jugement partagé par Me Isabelle Coutant-Peyre, qui défend Ali Riza Polat, « bras droit » présumé d'Amédy Coulibaly, qu'il aurait aidé à se procurer des armes.
« Malgré quatre ans d'instruction, on a peu de certitudes » hormis sur le rôle de « Claude Hermant », affirme l'avocate. « Des gens ont été arrêtés rapidement » mais « ce ne sont probablement pas les vrais responsables de ces tragédies », estime-t-elle, en regrettant l'absence du trafiquant sur les bancs des accusés.
Dans le cadre d'une procédure disjointe qui portait sur un trafic d'armes plus large que celui des attentats, Claude Hermant a été condamné à huit ans de prison en février 2019.
Il sera entendu jeudi par la cour d'assises en qualité de simple témoin