L’année commence mal pour la Turquie avec une inflation à plus de 36% sur un an en décembre, un niveau record depuis 2002, conséquence de la politique menée par le président Recep Tayyip Erdogan au nom de " l’indépendance économique " de son pays.
Mais pour certains observateurs, la Turquie s’enfonce dans une spirale inflationniste alors que la livre turque a perdu près de 45% de sa valeur par rapport au dollar en un an.
Pourquoi cet effondrement ?
A rebours des théories économiques classiques, le président Erdogan estime que les taux d’intérêt élevés favorisent l’inflation. Il a même à plusieurs reprises avancé les préceptes de l’islam, qui interdit l’usure, pour justifier sa politique.
Conformément au souhait du chef de l’Etat, la banque centrale – officiellement indépendante – a abaissé son taux directeur, de cinq points en quatre mois, suscitant chaque fois un nouveau plongeon de la livre.
M. Erdogan a en parallèle limogé depuis juillet 2019 trois gouverneurs de la banque centrale et remplacé son ministre des Finances à trois reprises depuis juillet 2018 – dont le dernier le 2 décembre, en pleine débâcle.
Quelles conséquences ?
Des économistes turcs du Groupe de recherche sur l’inflation (ENAG) affirment que le taux réel d’inflation a atteint 82,8% sur un an, bien au-delà des chiffres officiels.
Pour la population, la hausse des prix de base – alimentation et énergie en particulier – devient difficilement soutenable. Le gaz et l’électricité ont ainsi augmenté de respectivement de 50 et 25% au 1er janvier. L’huile de tournesol de 86% et le pain de 54% sur un an.
A dix-huit mois de la prochaine échéance présidentielle, l’inflation officielle atteint désormais sept fois l’objectif fixé en début d’année par le gouvernement.
Et cette dégradation de l’économie risque de nuire à la popularité déjà entamée du président Erdogan, qui a bâti ses succès électoraux des deux dernières décennies sur ses promesses de prospérité.
Qu’espère le président Erdogan ?
Le président maintient le cap envers et contre tout: lundi, il s’est encore félicité de la bonne tenue de l’économie turque, avec un taux de croissance de 7,4% sur un an au troisième trimestre 2021 – essentiellement grâce aux exportations portées par des prix bas.
" Grâce aux réformes que nous avons réalisées, nous avons réussi à libérer l’économie turque de ses chaînes et la démocratie turque de la tutelle ", a-t-il affirmé.
Le président Erdogan semble faire le pari de la croissance à tout prix et balaie les craintes d’une crise monétaire, misant sur l’investissement, la production et les exportations.
L’idée serait de faire la Turquie une grande puissance exportatrice grâce à ses prix bas, à la manière de la Chine, estime certains observateurs. Il a ainsi vanté lundi une augmentation de 32,9% des exportations sur un an en 2021, à 225,37 milliards de dollars.
Mais le mois dernier, la principale organisation patronale (Tüsiad), qui représente 85% des exportateurs, lui avait lancé une sévère mise en garde, l’appelant à corriger le tir. " Les choix politiques mis en œuvre n’ont pas seulement créé de nouvelles difficultés pour le monde des affaires, mais aussi pour nos concitoyens ", estimait la Tüsiad, en demandant au chef de l’Etat de " revenir aux principes économiques établis dans le cadre d’une économie de marché ".
Quelles sont les réponses du pouvoir?
Face au plongeon rapide de la monnaie, le chef de l’Etat a pris une série de mesures pour contrer la dégringolade de la monnaie et de sa popularité: il a engagé l’Etat à compenser toute dépréciation des dépôts bancaires en livres par rapport au billet vert, puisant ainsi dans les caisses publiques.
Le 30 décembre, les réserves nettes de l’Etat étaient passées de 12,2 milliards de dollars à 8,6 milliards en une semaine. Et plusieurs membres de l’opposition affirment que le pays va rapidement se trouver à cours d’argent.
Dans ce contexte économique fortement dégradé, le président Erdogan a relevé le salaire minimum au 1er janvier de 2.825,90 à 4.253,40 livres (environ 275 euros), une hausse de 50% en grande partie effacée par la conjoncture.
" Je crains que toutes les hausses de salaires n’aient fondu en deux mois ", a réagi sur Twitter Gizem Öztok Altinsaç, économiste en chef de l’organisation patronale turque Tüsiad.