KHARTOUM: Le Premier ministre Abdallah Hamdok, visage civil de la transition au Soudan, a démissionné dimanche à l'issue d'une nouvelle journée meurtrière dans le pays où les généraux sont désormais seuls aux commandes.
Alors que la rumeur ne cessait d'enfler et que la presse locale assurait qu'il ne se présentait plus à son bureau depuis des jours, M. Hamdok a jeté l'éponge dimanche soir, expliquant longuement sur la télévision d'Etat avoir tout tenté mais avoir finalement échoué dans un pays dont la "survie" est selon lui "menacée" aujourd'hui.
Les différentes forces politiques du pays sorti en 2019 de 30 années de dictature militaro-islamiste d'Omar el-Béchir sont trop "fragmentées", a-t-il dit, et les camps civil et militaire trop irréconciliables pour qu'un "consensus" vienne "mettre fin à l'effusion de sang" et donner aux Soudanais le slogan phare de la révolution anti-Béchir de 2019: "liberté, paix et justice".
Cet ancien économiste onusien qui avait obtenu l'effacement de la dette du Soudan et sa sortie du ban mondial n'a pas connu un moment de répit depuis le coup d'Etat du 25 octobre.
Ce jour-là, son principal partenaire, le chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, l'a fait placer en résidence surveillée au petit matin. Et avec lui, la quasi-totalité des civils des autorités de transition, rompant brutalement l'attelage baroque de 2019.
Alors, la pression populaire forçait l'armée à démettre l'un des siens, Omar el-Béchir. Généraux et civils s'entendaient sur un calendrier de transition qui prévoyait une remise du pouvoir tout entier aux civils avant des élections libres en 2023.
Mais le 25 octobre, le général Burhane a rebattu les cartes: il a prolongé de deux ans son mandat de fait à la tête du pays et réinstallé un mois plus tard M. Hamdok, tout en ayant préalablement remplacé bon nombre de responsables --notamment au sein du Conseil de souveraineté qu'il chapeaute--, en extrayant les partisans les plus actifs d'un pouvoir civil.
- Khartoum coupée du monde -
Aussitôt, M. Hamdok est devenu l'ennemi de la rue, le "traître" qui aidait les militaires à "faciliter le retour de l'ancien régime".
Les manifestants, qui depuis le 25 octobre conspuent le général Burhane dans la rue, se sont mis à le conspuer lui aussi.
Car dans un pays presque toujours sous la férule de l'armée depuis son indépendance il y a 65 ans, les manifestants le clament: ils ne veulent "ni partenariat, ni négociation" avec l'armée.
Et ils le redisent de plus en plus souvent au risque de leur vie: dimanche, de nouveau, parmi les milliers de Soudanais sortis dans les rues, trois ont été tués par des balles ou des coups de bâton des forces de sécurité, rapporte un syndicat de médecins pro-démocratie.
En tout, depuis le 25 octobre, 57 manifestants ont été tués et des centaines blessés.
Dans un ballet désormais rôdé, les autorités ont d'abord tenté une nouvelle fois dimanche, en vain, de tuer la mobilisation dans l'oeuf en érigeant barrages physiques et virtuels.
Khartoum est depuis plusieurs jours coupée de ses banlieues par des containers placés en travers des ponts sur le Nil.
Sur les principaux axes, les forces de sécurité juchées sur des blindés armés de mitrailleuses lourdes surveillent les passants.
L'internet et les communications par téléphones portables ont cessé de fonctionner le matin et n'ont été rétablis qu'en soirée.
- "Les militaires à la caserne" -
Toute l'après-midi, les partisans d'un pouvoir civil ont scandé par milliers "Les militaires à la caserne" et "Le pouvoir au peuple", tandis que des jeunes sur des motos sillonnaient la foule, évacuant des blessés car à chaque mobilisation les ambulances sont bloquées par les forces de sécurité.
Les militants appellent à faire de 2022 "l'année de la poursuite de la résistance", réclamant justice pour les dizaines de manifestants tués depuis le putsch, mais aussi pour les plus de 250 civils abattus lors de la "révolution" de 2019.
En face, un conseiller du général Burhane a jugé vendredi que "les manifestations ne sont qu'une perte d'énergie et de temps" qui ne mènera "à aucune solution politique".
Outre les morts et la coupure du téléphone et d'internet, les forces de sécurité sont également accusées d'avoir eu recours en décembre à un nouvel outil de répression: le viol d'au moins 13 manifestantes, selon l'ONU.
En outre, chaque jour et dans chaque quartier, les Comités de résistance, petits groupes qui organisent les manifestations, annoncent de nouvelles arrestations ou disparitions dans leurs rangs.
Les Européens ont déjà exprimé leur indignation, de même que le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken et les Nations unies. Tous plaident pour un retour au dialogue comme préalable à la reprise de l'aide internationale coupée après le putsch dans ce pays, l'un des plus pauvres au monde.
M. Blinken a prévenu samedi que les Etats-Unis étaient "prêts pour répondre à tous ceux qui cherchent à empêcher les Soudanais de poursuivre leur quête d'un gouvernement civil et démocratique".
Le Soudan depuis le coup d'Etat du 25 octobre
Voici les temps forts au Soudan depuis le coup d'Etat du 25 octobre.
Le pays traverse une délicate transition depuis la chute en 2019 d'Omar el-Béchir censée aboutir à des élections libres fin 2023.
Nouveau coup d'Etat
Le 25 octobre, de nombreux membres civils des autorités de transition sont arrêtés, dont le Premier ministre Abdallah Hamdok, après avoir refusé de soutenir le coup d'Etat du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane.
Celui-ci dissout les autorités de transition, limoge de nombreux responsables et décrète l'état d'urgence.
Il assure toujours souhaiter "une transition vers un Etat civil et des élections libres en 2023" et affirme que le Soudan reste lié par ses accords internationaux.
Au moins sept personnes sont tuées et 80 blessées par des tirs de l'armée à Khartoum, selon un syndicat de médecins pro-démocratie, lors de manifestations massives dénonçant le putsch, aussi largement condamné par la communauté internationale.
Washington suspend une aide de 700 millions de dollars au Soudan.
Désobéissance civile, pression internationale
Le 26, des milliers de Soudanais manifestent à Khartoum. La plupart des magasins sont fermés après un appel à la "désobéissance civile" et à la "grève générale".
Abdallah Hamdok est assigné à résidence.
Le 27, les arrestations de militants et manifestants se multiplient, les heurts se poursuivent.
L'Union africaine suspend le Soudan et la Banque mondiale cesse son aide.
Le 28, après plusieurs jours de tractations, le Conseil de sécurité de l'ONU réclame le rétablissement d'un "gouvernement de transition dirigé par des civils", comme le président américain Joe Biden.
Le patron de la télévision d'Etat est limogé, les antennes des radios FM sont mises sous scellés alors qu'internet est coupé depuis le putsch.
Manifestations
Le 30, des dizaines de milliers de Soudanais manifestent contre le putsch. La répression fait trois morts.
Le 1er novembre, l'émissaire de l'ONU à Khartoum évoque des efforts de "médiations".
Le 4, sous la pression internationale, quatre ministres sont libérés. L'armée annonce la formation "imminente" d'un gouvernement.
Le 9, la Troïka (Grande-Bretagne, Etats-Unis et Norvège) à la manoeuvre sur le dossier soudanais, réclame la réinstallation de M. Hamdok.
Nouveau Conseil de souveraineté
Le 11, le général Burhane nomme un nouveau Conseil de souveraineté, sans les représentants du bloc réclamant un transfert du pouvoir aux civils. Avec son second, le général Mohammed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF), il s'engage à "des élections libres et transparentes" en juillet 2023.
Le lendemain, Washington et Bruxelles dénoncent le nouveau Conseil de transition.
Répression
Le 13, au moins huit personnes sont tuées dans la répression d'une mobilisation de dizaines de milliers d'opposants.
Le chef de bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Khartoum est arrêté le 14, puis relâché le 16.
Le 17, seize manifestants sont tués à Khartoum lors de la journée la plus sanglante depuis le putsch.
Le Premier ministre de retour
Le 21, Abdallah Hamdok est rétabli dans ses fonctions aux termes d'un accord avec le général Burhane, sans faire cesser les manifestations.
Le lendemain, plusieurs hommes politiques détenus depuis le coup d'Etat sont libérés.
Le 24, Abdallah Hamdok ordonne l'arrêt "immédiat" des limogeages et annonce le "réexamen" des nominations intervenues durant sa détention.
Manifestations meurtrières
Le 19 décembre, trois hommes sont tués par balle et plusieurs femmes violées lors de manifestations contre le putsch au troisième anniversaire du lancement de la "révolution" ayant évincé Omar el-Béchir.
Le 30, six manifestants sont tués parmi une foule réclamant de nouveau un pouvoir civil, bravant balles réelles, grenades lacrymogènes et coupure des communications.
Démission du Premier ministre
Le 2 janvier, une nouvelle journée de mobilisation se solde par la mort de trois manifestants.
Dans la soirée, le Premier ministre Abdallah Hamdok annonce sa démission, expliquant sur la télévision d'Etat avoir tout tenté mais avoir finalement échoué dans un pays dont la "survie" est selon lui "menacée" aujourd'hui.
Depuis le 25 octobre, 57 manifestants ont été tués et des centaines blessés, notamment par balles, selon un syndicat de médecins pro-démocratie. Les forces de l'ordre sont également accusées du viol d'au moins 13 manifestantes, selon l'ONU.