PARALIMNI, Chypre: De nombreux Libanais aisés qui ont fui la chute économique de leur pays pour une nouvelle vie dans la nation insulaire voisine de Chypre déclarent que la transition a été un tourbillon d'émotions.
Ils sont reconnaissants de ne pas avoir eu à recourir à des passeurs et à se lancer dans des traversées risquées de la Méditerranée pour atteindre les côtes européennes. Mais ils se sentent également coupables d'avoir laissé derrière eux leur famille et leurs amis pour lutter contre les crises sans précédent du Liban – une économie en faillite, une incertitude politique et des bouleversements sociaux.
Les sentiments sont intenses pour Céline el-Bacha, une architecte qui a déménagé avec sa famille de quatre personnes dans la nation insulaire méditerranéenne en août 2020, et Nadine Kalache Maalouf, arrivée avec son mari et ses deux enfants il y a quatre mois.
Ils font partie des plus de douze mille Libanais qui ont quitté leur patrie au cours des deux dernières années pour Chypre – à moins de cinquante minutes de vol de Beyrouth – pour inscrire leurs enfants à l'école, créer des entreprises et acheter des appartements sur l'île.
«Nous avons eu la chance de pouvoir partir», déclare Mme Maalouf. «Nous faisons de notre mieux ici en tant que communauté libanaise pour aider nos familles, nos amis au pays. Ce n’est donc pas comme si nous venions de déménager, que nous tournions le dos et que nous ne regardions pas en arrière.»
Des milliers de Libanais, dont des enseignants, des médecins et des infirmières ont quitté le pays au milieu d'une crise économique dévastatrice qui a plongé les deux tiers de la population du pays dans la pauvreté depuis octobre 2019. Cette fuite des cerveaux s'est accélérée après l'explosion massive du port de Beyrouth l'année dernière, lorsque du nitrate d'ammonium mal stocké a explosé, tuant au moins deux cent seize personnes et détruisant plusieurs quartiers résidentiels.
L'exode est révélateur de l'état du Liban, où non seulement les pauvres cherchent une issue, mais aussi une classe moyenne relativement aisée ne croit plus au redressement du pays.
Pour ceux qui peuvent se le permettre, Chypre, membre de l'Union européenne (UE), est une option attrayante pour sa proximité et les facilités qu'elle offre, notamment la résidence pour un certain niveau d'investissement dans l'immobilier et les entreprises. Alors que les banques libanaises restreignent l’accès aux dépôts, nombreux sont ceux qui ont cherché à ouvrir des comptes bancaires à Chypre ou à acheter des appartements afin de libérer leur argent.
L'île a une tradition d'accueil des Libanais, arrivés pour la première fois dans les années 1980, au plus fort de la guerre civile de quinze ans au Liban, et à nouveau en 2006, lorsque Chypre a servi de base pour évacuer les civils pendant la guerre d'un mois entre Israël et le groupe militant du Hezbollah au Liban.
Nadine Kalache Maalouf, 43 ans, qui a déménagé à Chypre avec son mari et ses deux enfants, raconte qu'elle est agréablement surprise par la «facilité» du processus de réinstallation. Elle n'a pas encore trouvé de travail mais elle s'est rapprochée de la communauté libanaise très unie de Chypre.
«Nous avions peur de cette étape», indique-t-elle, mais les autorités chypriotes de l'immigration «ont rendu la tâche très facile».
Le porte-parole du ministère chypriote de l'Intérieur, Loizos Michael, a confirmé à Associated Press que le gouvernement avait des «procédures simplifiées» pour les ressortissants libanais qui souhaitent immigrer légalement, «dans le cadre de l'aide humanitaire» au Liban.
De plus, des incitations sont offertes aux hommes d'affaires libanais qui souhaitent transférer leurs entreprises à Chypre, ajoute M. Michael, sans plus de précisions.
Mme Maalouf indique que sa principale motivation est de protéger ses enfants de la situation économique désastreuse du Liban – l'inflation galopante a vu la livre libanaise perdre plus de 90 % de sa valeur en moins de deux ans – et de leur offrir une chance pour un avenir meilleur.
«C'est effrayant quand vous êtes parent, vous avez peur et vous vous dites: “Je dois sauver mes enfants”», explique Nadine Kalache Maalouf.
La transition a été plus facile pour Céline el-Bacha, 47 ans, et sa famille. Ils avaient acheté une maison de vacances à Chypre quelques années auparavant dans la ville de Paralimni sur la côte est de l'île et ils sentaient qu'ils étaient déjà chez eux ici.
Sa fille aînée, Stéphanie, étudie depuis deux ans dans une université parisienne. Sa fille cadette, Morgane, 17 ans, a eu la chance d'intégrer la seule école francophone de Chypre à Nicosie, la capitale.
Mme El-Bacha et son mari, également architecte, ont créé une entreprise à Chypre et ils travaillent tous les deux. Ils ont un sentiment d'obligation envers le pays qui les a accueillis, précise-t-elle.
«Nous voulons sentir que nous ne sommes pas illégaux dans le pays», indique-telle. «Chypre nous a aidés à tous les niveaux, et c'est comme si nous devions rendre cela.»
Céline el-Bacha est chanceuse, estime-t-elle, surtout quand elle se souvient à quel point de nombreux Libanais se sentent impuissants face aux querelles constantes de l'élite politique. Sa maison à Beyrouth a subi des dommages mineurs lors de l'explosion du port du 4 août 2020, principalement des bris de verre. Aucun d'entre eux n'a été blessé, mais certains de ses amis et parents n’ont pas été aussi chanceux.
Plus tard au cours de ce mois d’août 2020, la famille a déménagé à Chypre. Les cinq premiers mois, Céline éprouvait des sentiments de culpabilité, comme si elle «trahissait son pays», déclare-t-elle.
Nadine Kalache Maalouf, qui s'est également retrouvée avec sa famille à Paralimni, ne croit pas que les choses s'arrangeront de sitôt au Liban, malgré les prochaines élections. «J'entends cela depuis que je suis adolescente. Les choses iront mieux. Nous verrons et les choses ne s'améliorent jamais», constate-t-elle.
Pour sa proximité avec le Liban, Chypre est, à bien des égards, idéale pour Mme Maalouf et Mme El-Bacha. Elles peuvent facilement rendre visite à leur famille et à leurs amis à Beyrouth.
«Le peuple chypriote est très chaleureux et accueillant», indique Nadine Kalache Maalouf. «Nous ne nous sentons pas comme des étrangers ici.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com