DUBAΪ : Arab News met en avant les disques arabes indépendants que vous deviez écouter en 2021.
Le premier album de l'auteure-compositrice-interprète et multi-instrumentiste palestinienneRasha Nahas est un coup de génie. Cette musicienne berlinoise née à Haïfa a un talent impressionnant. Guitariste de formation classique, elle possède une voix douce, mais exprimeà travers ses performances électrisantes une véritable tempête d'émotions. Desert montre comment Nahas parvient à sculpter ce son texturé et méticuleusement pensé depuis des années. Cet album oscille entre des ambiances éthérées évoquées par des arrangements de cordes diaphanes et des prestations envoûtantes de Nahas à la guitare. On y trouve des versdélicieusement évocateurs, comme «As my Heart is Bleeding Quarter Tones», et des influences de cabaret théâtrales et festives. Ce premier album est décidément réussi et révèle une artiste prometteuse, profonde et intense.
Si l’on fait exception de l'irrésistible riff de guitare qui traverse Mother Tongue, son premier titre, effervescent, le trio de Beyrouth passe une grande partie de son troisième album à affiner la délicate alchimie dream pop de leur instrumentation à combustion lente, associée autimbre cristallin de chanteuse Julia Sabra. Il s'agit d'une exploration saisissante d'une nuit noire de l'âme. Cette toile de fond sonore évoque l'événement qui a inspiré l'écriture de la chanson: Sabra était avec son partenaire, le batteur Pascal Semerdjian, lorsqu'il a failli être emporté par l'explosion dramatique survenue dans la capitale libanaise au mois d’août 2020. Les cicatrices profondes de leur traumatisme collectif glissent à travers l'album comme un vent glacial, ponctué par la résilience sans compromis de survivants déterminés à continuer. Postcards signe un album puissant et dérangeant.
Alors que son premier EP, Dust Bathing, sorti en 2018, était une simple aventure pop qui a toutefois réussi son pari en réalisant un accord parfait, avec ses passages lyriques mélodiques et ses harmonies opulentes, Qaddoumi semble s’être affirmée cette année. L'histoire fascinante de cette chanteuse née au Koweït – elle a reçu une éducation palestinienne, libanaise et écossaise, et a étudié le théâtre – est une caractéristique indélébile de l’approche multiforme de son art. Soft Glitch brille d'un courant spectral de trip-hop, de paysages électroniques luxuriants et se trouve transcendé par la voix hypnotique de Qaddoumi. Les vidéos qui ont accompagné la sortie de l’album révèlent un traitement élaboré et imaginatifdes idées qui bouillonnent dans son esprit créatif. Qaddoumi sait s'aventurer bien au-delà des conventions.
2021 fut une année de transformation pour le rappeur, chanteur et parolier palestino-jordanien Laith al-Husseini, alias The Synaptik. Al Qamar Wal Moheet («La Lune et l’Océan») est un formidable journal artistique d'introspection et marque un énorme changement personnel. Après avoir terminé ses études de médecine, déménagé à Ramallah et abandonné son utilisation à vie de Ritaline, un médicament contre le TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, NDLR), le maître de la rime a utilisé ce disque pour réconcilier la personne qu’il était et celle qu'il est devenu. Le résultat est un disque hip-hop et trap cérébral et non conformiste qui se nourrit ingénieusement d'éléments de R’N’B’, de pop et de musique palestinienne traditionnelle, tout en portant la marque indélébile du lyrisme de The Synaptik.
Les vétérans du rock progressif arabe de Jordanie ont comblé un écart d'une demi-décennie grâce à ce disque réfléchi et élégamment produit qui présente à la fois l'expérimentation dont ils sont les pionniers (depuis 2003) et le goût qu’ils manifestent pour les sujets peu orthodoxes. La Tlou' El Daw passe ainsi de vers graveleux animés par la prestation sincère du leader, Mahmoud Radaideh, à des pièces instrumentales complexes et avant-gardistes parsemées d'accordéon, de synthétiseur, de refrains, d'harmonies majestueuses et riches...L'un des groupes les plus créatifs du monde arabe signe là un retour triomphal.
La scène rap régionale a connu un changement radical lorsque Mounir Bu Kolthoum a sorti son premier LP, Inderal, en 2015. Elle chante depuis les louanges du producteur de musique, rappeur et chanteur d'origine syrienne, qu’elle considère comme l'un de ses piliers. Influencé par le tarab, la soul et le funk, Bu Kolthoum vit désormais à Amsterdam, où il a orchestré la sortie de Talib cette année. Cet auteur-compositeur surdoué se livre à travers douze pistes dynamiques propulsées par son rythme inimitable et son chant. Il nous raconte des histoires mémorables qui évoquent la jeunesse, la rébellion et l'aliénation.
Depuis qu'il a quitté le groupe de rock arabe précurseur, El Morabba3, Tareq Abu Kwaik,alias El Far3i, s’est montré pour le moins prolifique. Ce rappeur, chanteur, auteur-compositeur et percussionniste jordano-palestinien, qui est également un membre phare du célèbre ensemble Shamstep 47Soul, propose un cinquième opus en solo avec Lazim Tisa. Cet album regorge d'ambiances sombres, de synthétiseurs dissonants, de notes de drones fantomatiques et de rythmes visqueux, le tout poussé par les raps rythmés et le style vocal typique de l'artiste. El Far3i maintient sa position d’artiste remarquable sur la scène duMoyen-Orient.
Avec une sélection de stars composées de Pascal Semerdjian (de Postcards), Salim Naffah, alias Alko B (de Wanton Bishops) et Charif Megarbane (de Cosmic Analog Ensemble, Heroes & Villains, Twyn Towers et Monumental Detail), pour n'en citer que quelques-uns, Prefaces est une bête créative et singulière dans le meilleur sens du mot. Hippodrome est l'un des quatre albums de Megarbane sortis en 2021, et l'un des quatre-vingts que ce musicien inépuisable a élaborés depuis 2005. Son travail est une gracieuse excursion à travers l'acoustique folk, le surf rock, le jazz, le blues saharien, la soul, le funk et la pop des années 1960. Les débuts principalement instrumentaux de Prefaces appartiennent à cette dernière catégorie, avec une production minimale et granuleuse qui fait penser aux bandesoriginales des films de Quentin Tarantino.
Organisé par Beirut&Beyond’s Musicians Support Program, fondé pour soutenir la scène musicale indépendante du pays à la lumière des crises systémiques qu'elle a endurées au cours des deux dernières années, Beirut 20/21 rassemble une liste éblouissante d’artistes confirmés et émergents. Cette compilation comprend des morceaux de Dani Shukri de Tanjaret Daghet, Tarek Khuluki et Khaled Omran, ainsi que les expérimentateurs de musique électronique Kid Fourteen, alias Khodor Ellaik, et Liliane Chlela, entre autres. L'anthologie constitue un puissant rappel de l'innovation et de l'énergie qui animent toujours cettecommunauté qui crée envers et contre tout.