MATARO: Atteint d'une maladie rare, Neil Harbisson ne peut voir qu'en noir et blanc. Mais cet artiste a fixé une antenne dans son crâne lui permettant de transformer les couleurs en sons pour les entendre comme de la musique.
Et désormais, ce "cyborg" britannique de 39 ans, installé près de Barcelone, teste un collier lui permettant de ressentir physiquement le temps qui passe en vue d'en changer sa perception.
A première vue, l'antenne dépassant au-dessus de sa tête ressemble à une étrange lampe. Mais captant les fréquences des couleurs, elle les transforme en vibrations qui, par conduction osseuse, arrivent jusqu'à son oreille interne.
"Ça me permet de ressentir les couleurs de l'infrarouge à l'ultraviolet à travers des vibrations dans ma tête qui se transforment en son, donc je peux entendre les couleurs", explique-t-il.
Il peut ainsi entendre "l'Air de la Reine de la nuit" de Mozart en passant son antenne devant une peinture composée d'une série de bandes colorées, dont les couleurs et les largeurs correspondent à cet air de la "Flûte enchantée", et voit mentalement des couleurs dès qu'il écoute de la musique, son cerveau étant désormais conditionné par cette association couleurs-sons.
Né avec une achromatopsie, maladie rare entraînant une vision en noir et blanc, Neil Harbisson a grandi avec l'obsession des couleurs. A tel point qu'il s'est fait opérer pour fixer dans son crâne cette antenne, conçue durant ses études à l'université, et qui fait maintenant partie intégrante de son corps, le transformant ainsi en "cyborg".
"Etre un cyborg, ça veut dire que la technologie fait partie de ton identité", dit-il.
Une cacophonie de couleurs
Cette conduction osseuse des sons a déjà été utilisée par Beethoven lorsqu'il a commencé à devenir sourd. Il a alors découvert qu'il pouvait encore entendre en posant une baguette de bois sur le piano et en serrant l'autre extrémité entre ses dents pendant qu'il jouait pour ressentir les vibrations. Quelque 200 ans plus tard, les appareils auditifs à ancrage osseux fonctionnent de la même manière.
"Au début, tout était chaotique car l'antenne ne me disait pas: bleu, jaune, rose, elle m'envoyait des vibrations et je n'avais aucune idée de la couleur que j'avais devant moi. Mais au bout d'un certain temps, mon cerveau s'y est habitué", se souvient-il.
Et il s'y est tellement accoutumé qu'il peut rêver "en couleur" et réalise lorsqu'il se réveille que ces couleurs "ont été créées par mon cerveau" et non par l'antenne.
Dans sa maison, une floraison de toiles colorées sont fixées sur les murs tandis que la cage d'escalier accueille de curieux "scores faciaux" de célébrités comme Leonardo di Caprio, Tom Cruise ou Woody Allen.
Dans le cadre d'un projet artistique, ces derniers ont tous laissé Neil Harbisson s'approcher d'eux avec son antenne pour détecter les fréquences et le "son" du teint de leur peau et de la couleur de leurs lèvres, devenus d'énigmatiques lignes de fusain.
Le collier du temps
Mais au-delà des couleurs, Neil Harbisson tente, à travers son art, de trouver de nouveaux moyens d'étendre ses sens en modifiant la perception de la réalité par le cerveau.
Il s'apprête à commencer un essai d'un an avec un dispositif en forme de collier métallique destiné à percevoir physiquement le temps qui passe.
"Il y a un point de chaleur qui met 24h à tourner autour de mon cou et qui me permet de sentir la rotation de la planète", explique-t-il.
L'objectif ? Que le cerveau s'adapte lentement à la sensation physique du temps qui passe, après quoi il devrait être possible de manipuler cette perception.
"Une fois que le cerveau s'y est habitué, vous pouvez utiliser une application pour apporter des changements subtils à la vitesse du point de chaleur, ce qui devrait modifier votre perception du temps - vous pourriez potentiellement étirer le temps ou donner l'impression qu'il passe plus vite", affirme-t-il.
Pour l'instant, il s'agit d'un dispositif portable plutôt que d'un implant. Une version précédente a dû être mise au rebut parce qu'elle le "brûlait" systématiquement à 18h, sourit-il, avant de juger que "c'est un art qui comporte une forme de risque car nous n'avons pas beaucoup d'antécédents de fusion entre les corps et la technologie".