Le déni règne au Moyen-Orient alors que les chances de parvenir à un accord s'amenuisent

Lors d'un exercice conjoint avec les Forces démocratiques syriennes, un convoi militaire américain fait route dans la campagne de Deir Ezzor, dans le nord-est de la Syrie, mercredi 8 décembre 2021. (AP)
Lors d'un exercice conjoint avec les Forces démocratiques syriennes, un convoi militaire américain fait route dans la campagne de Deir Ezzor, dans le nord-est de la Syrie, mercredi 8 décembre 2021. (AP)
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Publié le Mardi 14 décembre 2021

Le déni règne au Moyen-Orient alors que les chances de parvenir à un accord s'amenuisent

Le déni règne au Moyen-Orient alors que les chances de parvenir à un accord s'amenuisent
  • Nous traversons une période de déni qui ne laisse entrevoir aucune solution ou aucun équilibre réel
  • La confusion dans laquelle baignent les États-Unis plonge les autres pays dans le même embarras

Un porte-parole de la coalition internationale contre Daech dirigée par les États-Unis a démenti la semaine dernière toute attaque contre la base militaire d'Al-Tanf en Syrie. Le lieutenant-colonel Joel Harper a attribué l'explosion à des exercices que les forces armées effectuaient. De leur côté, les Iraniens ont nié avoir été visés par une attaque consécutive à l'explosion qui a secoué la zone située près de la centrale nucléaire de Natanz en Iran le 4 décembre dernier.

Vivons-nous actuellement une période de déni où les différentes parties augmentent les enjeux et les moyens de pression sans pour autant s'engager dans une véritable confrontation? En effet, les parties s'efforcent de consolider leur position de négociation en prévision de la signature d'un nouvel accord sur le nucléaire. Or, si tous les pays sont favorables à un accord, la menace d'un affrontement catastrophique se pose. 

Cette période de déni correspond également à une phase d’apaisement et de provocation à la fois. Une partie en provoque une autre, puis elle recourt à l'apaisement lorsqu'elle a l'impression de se rapprocher d'une confrontation. Si Israël menace de mener des frappes unilatérales et s’il poursuit ses attaques contre des cibles iraniennes en Syrie, les États-Unis, quant à eux, tentent de calmer l'Iran. On a ainsi appris la semaine dernière, via le directeur de la CIA, William Burns, qu'aucune preuve ne permettait d'affirmer que l'Iran avait décidé de développer un programme nucléaire militaire. Cette déclaration rassure Israël mais c'est aussi une façon de garder la porte ouverte aux négociations avec l'Iran, dans la mesure où les chances de parvenir à un accord s'amenuisent.

Nous traversons une période de déni qui ne laisse entrevoir aucune solution ou aucun équilibre réel; une période où les différentes parties cherchent à occulter leurs problèmes dans l'espoir de retrouver un semblant de tranquillité.

Le plus haut responsable de la sécurité des Émirats arabes unis (EAU) s'est rendu en Iran la semaine dernière. Il a été reçu par son homologue dans une initiative que les médias favorables à Téhéran ont applaudie. Cette rencontre marque un «tournant» dans les relations entre les deux pays, comme l'ont souligné les médias d'État. La déclaration officielle publiée à l'issue de la rencontre n'a pas précisé les sujets abordés et elle a plutôt évoqué la résolution de différends de longue date. Il est probable que les questions épineuses aient été écartées pour mettre en avant les aspects liés au commerce et aux intérêts mutuels.

Dans la même optique, les EAU se sont ouverts à la Turquie aussi. Le mois dernier, le prince héritier d’Abu Dhabi, cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane, a abordé avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, des questions portant sur les échanges commerciaux et sur d'autres sujets plus vastes. Le principal sujet de discorde – soit les relations avec les Frères musulmans – n’était probablement pas à l’ordre du jour.

Nous traversons donc une période où les pays passent outre les véritables problèmes et préfèrent se couvrir, ce qui explique leur comportement consistant à accepter leurs désaccords.

Une nouvelle dynamique gouverne désormais le Moyen-Orient. La région traverse en effet une phase d'incertitude. Il ne fait aucun doute que les États-Unis s'en retirent, mais que va-t-il se passer ensuite? Qui succédera aux États-Unis? Force est de reconnaître que Washington continue de s'intéresser au Moyen-Orient, même si son rôle dans cette région du monde devient de plus en plus restreint. La confusion dans laquelle baignent les États-Unis plonge les autres pays dans le même embarras. De ce fait, il incombe aux différentes parties prenantes de décider de la manière dont elles pourront éviter les risques. Pour y parvenir, elles doivent fermer les yeux sur les questions qui les préoccupent et ne se concentrer que sur les aspects positifs.

 

Nous traversons donc une période où les pays passent outre les véritables problèmes et préfèrent se couvrir, ce qui explique leur comportement consistant à accepter leurs désaccords.

Dania Koleilat Khatib

Cependant, parmi les protagonistes vivant dans ce déni, les États-Unis viennent en tête de liste. Inquiet, Israël cible l'Iran en Syrie avec le consentement de la Russie. L'Iran est conscient des hésitations des États-Unis de Joe Biden et il espère les chasser de la Syrie et de l'Irak. Les États-Unis ne souhaitent pas trancher et ils préfèrent se concentrer sur l'accord nucléaire. Ainsi, ils ne ratent pas une occasion pour démentir toute attaque menée par l'Iran pour ne pas être obligés d'y riposter. S’ils réagissaient, ne serait-ce qu'une seule fois, ils écarteraient les chances de renouveler l'accord nucléaire. Or, cet accord occupe la première place dans la stratégie de politique étrangère du président américain, Joe Biden, et il constitue l'une des plus importantes promesses formulées lors de sa campagne électorale.

Dans le même temps, l'Iran cherche de son côté à justifier les attaques menées contre ses centrales nucléaires. S'il avoue sans détour qu'Israël a attaqué son territoire, il sera contraint de riposter. Quant à Israël, il ne cesse de menacer l'Iran, tout en redoutant lui-même une éventuelle frappe. Tel-Aviv est conscient que s'il lance une attaque contre l'Iran, tous les pays arabes se tiendront à l'écart, même ceux avec lesquels il a normalisé les relations et noué des liens d'amitié.

La position des États-Unis est floue. L'Amérique fera-t-elle la guerre à l'Iran pour défendre les intérêts d'Israël, surtout si ce dernier déclenche la confrontation? Une autre forme de déni se manifeste par les nombreuses menaces de frappes que lance Israël sans cesse. Revenons aux années 1980, lorsqu’Israël a frappé un réacteur nucléaire irakien sans crier gare. Il n'avait pas menacé de le faire, il est passé à l'action de manière directe et décisive. Israël ne jouit plus désormais du même esprit de décision qu'il affichait à l'époque. Il est fragmenté et polarisé. La région, les États-Unis et Israël ont tous changé.

En cette période où les États s'abstiennent de réagir et préfèrent se couvrir, le déni reste la meilleure stratégie, ou du moins la voie la plus commode à suivre. Tout le monde espère qu'un événement se produira pour changer la dynamique existante – un événement qui engendrera une solution. Il s'agirait d'un accord ou d'une confrontation dont tout le monde appréhende l'issue. Quoi qu'il en soit, la situation devient de plus en plus fluide.

Les États-Unis ne sont plus en mesure de contrôler le rythme des événements. Les autres acteurs sont incapables de trouver une solution, en dépit des nombreuses initiatives, telles que les pourparlers entre l'Arabie saoudite et l'Iran au sujet de l'Irak et les efforts déployés par les EAU sur le plan diplomatique. Aucune solution globale et durable ne se dessine pour le moment. En attendant, tout ce que les protagonistes peuvent faire, c'est accepter leurs désaccords, ce qui les oblige à fermer les yeux sur leurs problèmes et leurs inquiétudes.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la diplomatie parallèle (Track II). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'université américaine de Beyrouth.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com