JERUSALEM : Israël doit mettre un terme au monopole des ultra-orthodoxes sur les affaires religieuses, voire faciliter la prière mixte entre hommes et femmes au Mur des Lamentations, affirme dans un entretien Gilad Kariv, premier rabbin libéral élu à la Knesset.
Depuis un accord conclu lors de la création d'Israël en 1948 entre David Ben Gourion et les grands rabbins orthodoxes, les lois du courant le plus conservateur du judaïsme régissent des pans entiers de la vie des Israéliens.
En Israël, la population juive doit avoir recours à des rabbins orthodoxes pour se marier ou divorcer, les transports publics sont interdits pendant le shabbat et les lois religieuses alimentaires (la cacherout) s'appliquent dans toutes les institutions publiques (ministères, écoles ou armée).
Mais le rabbin libéral Gilad Kariv, 48 ans, élu en mars sous la bannière du parti travailliste, défie le monopole des orthodoxes.
Aux Etats-Unis, où vivent le plus grand nombre de Juifs après Israël, la plupart d'entre eux se réclament du judaïsme libéral et massorti, deux courants non-orthodoxes qui prônent l'égalité entre les hommes et les femmes.
Ces mouvements restent néanmoins minoritaires en Israël, ce qui n'empêche pas le député de penser que "la majorité du public non-religieux du pays se sent beaucoup plus proche de nous (libéraux) que du judaïsme orthodoxe", souligne-t-il, la tête couverte d'une petite kippa.
"Le seul sujet sur lequel les gens de droite et de gauche sont d'accord en grande majorité en Israël, ce sont les relations entre la religion et l'Etat. La plupart des Israéliens sont en faveur du mariage civil, des transports publics le shabbat et un espace mixte au Mur" des Lamentations, dit-il dans son bureau à la Knesset, le Parlement.
Le pluralisme religieux est depuis longtemps le cheval de bataille de cet avocat de formation, chef de file du mouvement religieux libéral en Israël pendant plus d'une décennie avant de faire un saut en politique.
Pour lui, Israël est "un pays juif et démocratique, ce qui ne veut pas dire orthodoxe et démocratique".
Menaces de mort
"Les ultra-orthodoxes sont les premiers à savoir quelle direction les juifs en Israël prendront lorsqu'ils auront la possibilité de choisir entre un judaïsme conservateur, fermé sur le monde, souvent enclin, sinon au racisme au moins au manque de tolérance, et un judaïsme égalitaire (entre les hommes et les femmes), ouvert, inclusif. Ils se battent contre ça", assure-t-il.
A son arrivée au Parlement, certains députés ultra-orthodoxes ont refusé de le saluer et l'ont traité de "satanique".
D'autres ont continué de boycotter les discussions parlementaires auxquelles il participait, une habitude prise lorsqu'il y était invité à titre de chef du mouvement libéral.
Des broutilles comparées à ce matin de 2016, lorsqu'il a découvert "un long couteau avec (son) nom écrit dessus" à l'entrée de sa synagogue accompagné d'un graffiti appelant à le tuer, se souvient-il.
Y était tagué: "La présence divine ne quittera jamais le Mur des Lamentations", en référence au combat de celui qui défend la création d'un espace de prière mixte dans le lieu de recueillement le plus sacré du judaïsme.
Situé dans la Vieille Ville de Jérusalem, le Mur des Lamentations est placé sous l'autorité du rabbinat ultra-orthodoxe, qui y a imposé une scission de l'espace de prière entre hommes et femmes.
En 2016, les mouvements juifs progressistes avaient obtenu l'aménagement d'un espace mixte, mais l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu avait fait volte-face, sous la pression de ses alliés ultra-orthodoxes.
Avec la nouvelle coalition gouvernementale arrivée au pouvoir en juin et qui ne compte aucun député ultra-orthodoxe, cet accord a été remis à l'ordre du jour, provoquant la colère des haredim ("craignant Dieu", ultra-orthodoxes).
Début novembre, lors de la prière du "rosh hodesh" au Mur des Lamentations, marquant le début du mois dans le calendrier hébraïque, le président Isaac Herzog a demandé à Gilad Kariv d'annuler sa visite pour calmer le jeu. Il avait obtempéré.
Malgré ces tensions, le député se dit optimiste sur les chances du nouveau gouvernement de parvenir à un accord sur le Mur et de faire progresser le pluralisme religieux.
"Je pense que cela correspond bien à l'esprit du gouvernement, une coalition large et variée", dit-il, en allusion à la diversité des partis au pouvoir, de droite, du centre et de gauche.