ANKARA: Dans la nuit du 2 décembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a pris la décision suivante: il a nommé Nureddin Nebati ministre du Trésor et des Finances du pays à la place de Lütfi Elvan. Il fait ainsi le choix d’une politique stricte plutôt que d’un assouplissement monétaire.
Elvan, en désaccord avec Erdogan sur la baisse des taux d'intérêt, aurait volontairement démissionné de son poste. C'était une figure plébiscitée par les acteurs du marché, malgré les fluctuations de la gestion économique du pays.
Reste à savoir comment le nouveau ministre, que l’on dit loyaliste, sera reçu par les investisseurs.
En chute libre, la livre turque atteint des niveaux record par rapport aux devises étrangères. Cette année, elle a perdu environ 45% de sa valeur jusqu'à présent et a contribué à saper l'épargne des ménages.
Le 30 novembre, la livre a plongé jusqu'à 14 pour un dollar américain et a atteint 15 pour un euro, ce qui en fait la devise la moins performante de tous les marchés émergents. La Banque centrale de Turquie est rapidement intervenue; elle a vendu des quantités substantielles de réserves de change pour soutenir la livre, rapporte Bloomberg.
Nebati, qui a été vice-ministre des Finances pendant trois ans avant d'occuper ce poste, est le troisième ministre des Finances du pays en un peu plus d'un an.
Bureaucrate et ancien homme d'affaires proche d'Erdogan, il soutient ardemment le maintien des taux bas face à la flambée de l'inflation, car les deux hommes pensent que des taux d'intérêt élevés entraînent une forte inflation.
Cependant, selon Wolfango Piccoli, coprésident de Teneo Intelligence à Londres, cette nomination devrait ouvrir la voie à des dépenses considérables dans les mois à venir destinées à redorer le blason du gouvernement avant l’élection de 2023.
«La discipline budgétaire, qui a traditionnellement différencié la Turquie de la plupart des marchés émergents, devrait bientôt appartenir à l'histoire ancienne», confie-il à Arab News.
Les experts prévoient que l'économie pourrait être accélérée grâce à des crédits bon marché.
Piccoli estime que le gouvernement annoncera deux programmes de soutien pour soutenir les exportations et le marché du travail ainsi que des initiatives supplémentaires qui seront divulguées dans les mois à venir et qui viseront à consolider la position du gouvernement.
«Il est probable que le gouvernement utilisera également ses fonds pour accorder des prêts aux entreprises», ajoute-t-il.
Le nouveau ministre, issu d'une formation universitaire en sciences politiques, a fait partie des organisations de jeunesse affiliées au Parti de la justice et du développement (AKP) d'Erdogan.
«Mon Dieu, rendez la tâche facile, ne la rendez pas difficile. Mon Dieu, aidez-nous à réussir. Éclairez notre travail, faites-nous réussir», a twitté Nebati lors de sa nomination.
Avant de devenir député de l'AKP – il le fut entre 2011 et 2018 –, il a été un membre actif du conseil d'administration de l'association d'affaires islamiste progouvernementale Müsiad. Il est également très proche du gendre d'Erdogan, Berat Albayrak.
«Récemment, l'ancien ministre Lütfi Elvan avait laissé entendre que les améliorations du solde du compte courant devraient être gérées par des changements structurels dans la production plutôt que par des baisses de taux», fait savoir Selva Demiralp, professeure d'économie à l'université Koc d'Istanbul et ancienne économiste de la Réserve fédérale.
«Par ailleurs, le gouvernement affirme que les baisses de taux seront utilisées comme un moyen pour stimuler les exportations et réduire les importations. Avec la nomination du nouveau ministre, il semble qu'il y aura une meilleure coordination entre la politique monétaire et budgétaire afin de maintenir les taux d'intérêt bas», indique-t-elle à Arab News.
Dans une récente interview avec le diffuseur public TRT, Erdogan déclare qu'il faut s'attendre à d'autres changements de taux d'intérêt au cours de la période à venir et que la Turquie afficherait un excédent en 2022. Il avertit dans le même temps qu'il n'y a pas de «retour en arrière» par rapport à la nouvelle politique.
«De cette façon, il y aura une amélioration des taux de change avant les élections», affirme-t-il.
Selon les dernières données officielles, publiées mardi dernier, l'économie turque a progressé de 7,4% en glissement annuel au cours du troisième trimestre grâce aux exportations, à la fabrication et à la demande sur le marché au détail.
Dans un autre discours au Parlement, le mois dernier, Erdogan a fait allusion à un prochain changement de ministre des Finances. Il a déclaré: «Je suis désolé pour nos amis qui défendent des intérêts élevés, mais je ne peux ni ne veux suivre le même chemin qu'eux.»
Elvan fut le seul à ne pas se joindre à la foule pour applaudir ces propos.
Selon l'économiste Demiralp, de nouvelles baisses de taux pousseront les taux de dépôt encore plus en bas, ce qui pourrait entraîner une nouvelle vague de dollarisation et accroître les pressions sur la lire.
«Ainsi, cela limiterait la capacité des banques à transmettre de nouvelles baisses de taux à leurs emprunts et à leurs prêts. Lorsque le mécanisme de transmission monétaire s'arrêtera, le gouvernement pourrait reconsidérer son cycle d'assouplissement», précise-t-elle.
Jeudi dernier, le gouverneur de la Banque centrale a rencontré des investisseurs et des économistes nationaux et internationaux par vidéoconférence.
Depuis le mois de septembre, la Banque centrale a abaissé ses taux de 400 points de base à 15%, contre une inflation qui a atteint environ 20%.
Les récentes mesures prises par Ankara pour resserrer les liens avec ses précédents concurrents régionaux sont également perçues comme les éléments d'une tentative plus ambitieuse qui consisterait à enregistrer des gains économiques et à attirer des investissements à partir de telles ouvertures.