PARIS: Quel était le but caché du séjour de Mohamed Abrini en Angleterre à son retour de Syrie à l'été 2015 ? Au procès des attaques djihadistes du 13-Novembre, la cour s'est penchée mardi sur ce mystérieux voyage, en l'absence de l'"homme au chapeau" des attentats de Bruxelles.
L'enquêteur belge "441.157.616" commence son témoignage en citant l'accusé: "mon parcours est comme les lettres de l'alphabet. A comme Abrini, Z comme Zaventem", avait dit lors d'un interrogatoire celui qui avait renoncé à se faire exploser à l'aéroport bruxellois en mars 2016.
La photo du visage du Belge de 36 ans s'affiche en grand sur les écrans de la cour d'assises spéciale de Paris, mais lui n'est pas dans la salle.
Pour la troisième journée d'audience consécutive, cinq accusés dont Mohamed Abrini et son ami d'enfance et principal accusé Salah Abdeslam, refusent de comparaître pour protester contre l'absence physique à la barre et l'anonymisation des enquêteurs belges.
"Tout a commencé en 2014", situe le policier antiterroriste depuis Bruxelles. Mohamed Abrini est en prison pour de la petite délinquance quand il apprend la mort de son frère cadet en Syrie.
"En rentrant dans ma cellule j'ai pété un câble. Je me suis dis +je sors, je pars+", dit l'enquêteur, qui lit de toute évidence de larges passages d'audition et un texte déjà écrit.
L'une des avocates de Mohamed Abrini, Me Marie Violleau, s'en exaspère vite. L'enquêteur ralentit, et poursuit.
Dès sa sortie de prison, les proches de Mohamed Abrini remarquent qu'il se radicalise, entre dans "un trip Etat islamique". Il "parle bco (beaucoup, ndlr) de jihad lol", dit sa petite amie dans un texto à sa soeur.
A celle qu'il traite désormais de "mécréante", Mohamed Abrini écrit fin 2014: "je vais me battre pour défendre la cause du tout-puissant", "le prix à payer c'est de laisser sa vie".
Aux enquêteurs, il affirmera qu'il ne veut que se rendre sur la tombe de son frère.
Il leur raconte son passage en Syrie depuis la Turquie, en juin 2015. "Un jeu d'enfant", "il suffit de traverser un champ de maïs", rappelle l'enquêteur en visioconférence.
« Mission »
A Raqqa, capitale autoproclamée de l'Etat islamique, Mohamed Abrini retrouve son ami de 20 ans Abdelhamid Abaaoud, futur coordinateur des attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis.
"Il ne m'a pas parlé de ses projets pour l'Europe", assurait-il en interrogatoire. Ça aurait été "comme si le braqueur parlait à des petits voleurs de poules", lit encore "441.157.616".
Dans les citations choisies par l'enquêteur, on reconnaît le parler coloré dont Mohamed Abrini a déjà usé devant la cour. "On n'est pas sortis du ventre de nos mères avec une Kalachnikov à la main", avait-il notamment lancé début novembre.
A la fin de ce séjour d'une dizaine de jours - sans formation au combat, selon Mohamed Abrini - Abdelhamid Abaaoud lui aurait donné 2.000 euros pour une "mission": aller "récupérer de l'argent" - 4.000 euros - en Angleterre.
L'enquêteur n'y croit pas. "Pourquoi prendre autant de risques" pour si peu ?
Le véritable but de ce voyage reste un mystère, et les versions de Mohamed Abrini et de certains de ses coaccusés soupçonnés de l'avoir aidé ont "beaucoup varié", note le président de la cour, Jean-Louis Périès.
Mohamed Abrini assure qu'il n'a rencontré les hommes chargés de lui remettre de l'argent qu'une seule fois. Pourquoi alors a-t-il passé une semaine sur place, pourquoi ces échanges téléphoniques et déplacements à Londres, Birmingham et Manchester, révélés par l'enquête ?
Et cette photo, que l'enquêteur fait passer à l'écran: on y voit Mohamed Abrini poser devant le stade de Manchester United. Un "repérage" pour un projet d'attentat ? Un détour touristique, avait plutôt balayé le fan de foot, qui a aussi fait des arrêts au casino et dans "le plus grand bar à chicha d'Angleterre".
L'enquêteur voit lui "un lien" entre ce voyage et le retour en Europe du chef opérationnel des attentats: "deux jours après avoir reçu l'info qu'Abrini avait réceptionné l'argent, Abaaoud quitte la Syrie".
"On peut donner un autre sens à cette mission", dit l'enquêteur: quand Abaaoud "arrive, tout est prêt".