PARIS : Un "autodidacte" radicalisé sur Internet, un endoctriné express et un "fondamentaliste" fiché S. Au procès des attentats du 13 novembre 2015, la cour a étudié vendredi le parcours vers le jihad des membres du commando du Bataclan.
Pendant leurs quatre semaines de dépositions à la barre, les rescapés du massacre à l'arme de guerre qui a fait 90 morts dans la salle de concert ont souvent prononcé les noms de Samy Amimour, Ismaël Mostefaï et Foued Mohamed Aggad.
Les enquêteurs de la DGSI qui témoignent ce jour viennent eux résumer le "produit fini" d'une enquête "tout sauf linéaire" qui commence le lendemain - quand les corps des trois assaillants sont identifiés, et leurs proches placés en garde à vue.
Le commissaire "209SI", qui témoigne le visage entièrement flouté en visioconférence, commence par Samy Amimour. A l'écran, est projeté son "CV" - né à Paris, en 1987 -, illustré d'une étonnante photo du "combattant de l'Etat islamique" posant allongé en T-shirt, un chaton dans les bras.
"Un décalage" noté par sa sœur aînée, dit l'enquêteur. "Même alors qu'il est en Syrie, ils parlent de Louis de Funès et de Disney, et il lui envoie des photos de paysages et de chats".
Les auditions de ses proches ont permis de dresser le portrait d'un jeune homme "introverti", "toujours sur internet" où il découvre la religion, au lycée. Un cas "classique de la radicalisation 2.0", résume le commissaire.
Il passe un Bac L, devient chauffeur de bus pour la RATP. Il a environ 23 ans quand ses proches remarquent un changement de comportement : "il "met des gants pour serrer la main aux non-musulmans", "jette ses CD" ou "les bouteilles d'alcool de la maison".
En 2012, poursuit "209SI", Samy Amimour vide progressivement ses comptes en banque et tente un premier départ vers "une terre de jihad". Il est arrêté à Djibouti.
Le deuxième essai sera le bon - il rejoint la Syrie en 2013 malgré son contrôle judiciaire, et intègre une brigade de combattants francophones connue pour être particulièrement violente. Sur place, il "recrutera" sur internet sa future épouse, qui, à 17 ans, quitte la France pour le rejoindre.
«Pacte de sang»
Ismaël Mostefaï, né en 1985 en banlieue parisienne, passe la frontière franco-turque en même temps que Samy Amimour. Dès lors, tous deux "ne se quitteront plus", estiment les enquêteurs.
Contrairement à Samy Amimour "l'autodidacte", Ismaël Mostefai "baigne lui dans un environnement religieux assez fondamentaliste", explique le commissaire.
Son père dit aux enquêteurs n'avoir remarqué aucun signe de radicalité, "mais c'est à mettre en perspective": à la maison, les hommes et femmes dînaient dans des pièces séparées, note "209SI". "Gentil, calme, il pouvait se montrer violent sur les questions religieuses", dit notamment sa petite sœur, à qui il dictait ses tenues.
Fiché S dès 2009 pour son appartenance à la mouvance salafiste de Chartres, il parvient à se rendre en Syrie, un "secret orchestré par l'ensemble de sa famille", qui prétendra qu'il est à Dubaï et aidera sa femme à le rejoindre.
Sur place, probablement grâce à ses connaissances religieuses et sa maîtrise de l'arabe, il devient "chef" d'un groupe de combattants français.
Comment ont-ils rencontré le troisième membre du commando, Foued Mohamed Aggad ? La constitution du "trio opérationnel" a probablement eu lieu courant 2014, et est actée par une vidéo de propagande qui sera rendue publique après les attentats, en janvier 2016.
Tour à tour, les trois futurs assaillants, à visage découvert, décapitent des prisonniers. "Un pacte de sang", explique le commissaire.
Né dans l'est de la France en 1992, Foued Mohamed Aggad s'est lui "assez vite" radicalisé, pointe une autre enquêtrice de la DGSI, témoignant aussi anonymement par visioconférence.
Ses proches notent un changement de comportement "à l'été 2013", notamment au contact de Mourad Farès, recruteur de premier plan de candidats au jihad.
Foued Mohamed Aggad part en Syrie en décembre 2013 avec neuf autres, dont son frère aîné Karim. Des dix membres du "groupe de Strasbourg", seul Foued Mohamed Aggad reste sur zone où il combat dans plusieurs bataillons.
En contact avec sa famille du "jour de son arrivée" à son départ fin août 2015 pour l'Europe, il ne cache aucune de ses activités ni "son destin de mourir lors d'une opération kamikaze", relève l'enquêtrice "020SI".
A sa mère, à laquelle il avait dit que s'il rentrait en France ce serait "pour faire un sale truc", il annonce, sept minutes avant l'assaut au Bataclan la nuit du 13 novembre 2015, qu'il va "bientôt rencontrer Allah".