PARIS: "Reconnaissance" et "réparation": 60 ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'Assemblée nationale entame jeudi en France l'examen d'un projet de loi pour demander "pardon" aux Harkis, ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée française.
Traduction législative d'un discours du président Emmanuel Macron prononcé le 20 septembre à l'Elysée devant les représentants de cette communauté, le texte se veut un examen de conscience de la France face à la "tragédie des harkis".
Avec cette loi, le chef de l'Etat va plus loin que ses prédécesseurs depuis Jacques Chirac, en reconnaissant une "dette" envers ces hommes mais aussi leurs familles débarqués en France dans des "conditions indignes".
Le président de la République a pour la première fois demandé "pardon", un acte de repentance rare et jamais anodin lorsqu'il est question du conflit algérien, un sujet toujours aussi brûlant des deux côtés de la Méditerranée comme l'ont rappelé les récentes tensions entre Paris et Alger après des propos controversés d'Emmanuel Macron sur la nation algérienne.
"C'est une page noire pour la France", a résumé la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants Geneviève Darrieussecq.
Le projet de loi jongle avec le symbolique et le concret. Il reconnaît les "services rendus en Algérie par les anciens membres des formations supplétives qui ont servi la France et qu'elle a délaissés lors du processus d'indépendance de ce pays".
Jusqu'à 200.000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962.
Le texte reconnaît également "les "conditions indignes de l'accueil" réservées aux 90.000 harkis et à leurs familles qui ont fui l'Algérie après l'indépendance.
"Près de la moitié d'entre eux ont été relégués dans des camps et des hameaux de forestage", a détaillé Mme Darrieussecq.
En conséquence, le projet de loi prévoit "réparation" de ce préjudice, avec à la clef une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures.
La mesure concerne "les anciens combattants harkis et leurs épouses accueillis après 1962 en "métropole", dans des conditions indignes, mais aussi leurs enfants qui y ont séjourné, voire y sont nés", explique la rapporteure LREM (La République En Marche, parti au pouvoir) Patricia Mirallès.
Cinquante millions d'euros ont été inscrits dans le projet de budget 2022 pour abonder le fonds d'indemnisation.
"Nous estimons que 6.000 dossiers pourraient aboutir dès 2022, parmi lesquels 2.200 anciens combattants harkis, ainsi que leurs épouses et veuves", précise Mme Mirallès qui défendra un amendement pour "intégrer des cas particuliers qui ne seraient aujourd'hui pas couverts par l'indemnisation forfaitaire".
« Générosité électorale »
En 2018, un fonds de solidarité de 40 millions d’euros sur quatre ans avait été créé pour les descendants de harkis.
A gauche, David Habib a ironisé sur la "démarche conjoncturelle du président-candidat" mais souligne "la nécessité d'apporter une réponse à nos concitoyens harkis, adaptée à la souffrance qui a été la leur". Le PS (parti socialiste, opposition de gauche) votera pour.
Alexis Corbière (LFI, La France Insoumise, opposition de gauche) s'est inquiété de mesures à "géométrie variable" à même de raviver les blessures entre harkis mais son groupe ne s'opposera pas à un "texte qui marque, d'un point de vue historique, une avancée".
A droite et à l'extrême-droite, où est traditionnellement courtisé l'électorat harki, l'accueil est acide.
Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN, extrême droite), ironise sur "la générosité électorale d’Emmanuel Macron".
"Macron est dans une stratégie offensive d’arroser des catégories qui peuvent contribuer à sa réélection", grince de son côté une députée LR (Les Républicains, opposition de droite).
"Nous ne nous sommes pas improvisés 'défenseurs des harkis' à 6 mois d'une élection, contrairement à la droite et l'extrême droite qui, tel un marronnier, ont très récemment redécouvert le sujet", cingle Mme Mirallès.
En juillet, 33 députés LR emmenés par Julien Aubert, avaient demandé à Emmanuel Macron le versement d'une "indemnisation spéciale" en faveur des harkis.