SOKOLKA: L'UE a annoncé lundi préparer de nouvelles sanctions contre le régime bélarusse, peu convaincue par les assurances de Minsk de faire rentrer "chez eux" les migrants campant à la frontière polonaise après avoir, selon Bruxelles, orchestré leur afflux.
"Attention! Tout franchissement illégal de la frontière est interdit. Vous risquez des poursuites pénales", répètaient lundi par hauts-parleurs les gardes-frontières polonais aux centaines de migrants massés lundi au poste-frontière de Brousgui (Bélarus), face à la ville polonaise de Kuznica.
Des images diffusées par les médias bélarusses les montraient autour de feux de camp, s'allongeant dans des sacs de couchage à l'ombre de barbelés ou faisant face aux forces polonaises casquées qui gardent la zone frontalière.
Pris en étau à la frontière Bélarus-Pologne, les migrants refusent de partir
MOSCOU: Aryan Wali Zellmi, un Kurde d'Irak âgé de 25 ans, espérait gagner l'Europe en passant par le Bélarus. Mais après deux tentatives infructueuses, il est coincé à la frontière avec la Pologne, avec des milliers d'autres migrants.
"On attend ici, entre les soldats polonais et bélarusses. Ils ne nous laissent aller nulle part", déclare le jeune homme à l'AFP, qui a pu lui parler au téléphone.
La plupart des médias occidentaux ne sont pas autorisés à se rendre au Bélarus depuis la répression implacable d'un mouvement de contestation en 2020, tandis que la Pologne a interdit l'accès à la zone frontalière.
Entre 2 000 et 3 000 personnes, dont des femmes et des enfants, campent depuis plusieurs jours par un froid glacial à la frontière entre ces deux pays d'Europe orientale, agglutinés autour de feux de camp ou emmitouflés dans des couvertures.
Bruxelles accuse le régime de l'imprévisible président bélarusse Alexandre Loukachenko d'avoir orchestré cet afflux pour se venger de sanctions occidentales, en délivrant des visas avec la promesse d'un passage facile en Pologne, pays membre de l'Union européenne et de l'espace Schengen.
Mais pour empêcher les intrusions, Varsovie a déployé plus de 15 000 militaires pour appuyer ses policiers et gardes-frontières, et érigé une clôture surmontée de fils de fer barbelé.
Face à ce dispositif, des migrants ont été incités par des membres des forces de sécurité bélarusses à découper la clôture pour entrer en Pologne, ont indiqué à l'AFP des proches de candidats à l'exil ayant requis l'anonymat.
Varsovie a aussi accusé les militaires bélarusses d'avoir tiré des coups de feu en l'air pour pousser les migrants à avancer, ce que dément Minsk.
«N'importe où»
Plusieurs migrants contactés par l'AFP, comme M. Zellmi, sont originaires du Kurdistan irakien, une région du nord de l'Irak réputée pour sa relative stabilité mais où les opportunités économiques manquent.
Pour se rendre au Bélarus, M. Zellmi, propriétaire d'un café dans la région de Halabja, est passé par une agence de voyage qui lui a procuré un visa et un billet d'avion Bagdad-Minsk, avec une correspondance à Dubaï. Le tout pour environ 4.300 euros.
Il avait tenté de faire le voyage une première fois le mois dernier, mais avait été arrêté à l'aéroport de Minsk et expulsé, les autorités bélarusses affirmant que son visa n'était pas valide. Ce qui ne l'a pas empêché de réessayer.
Un autre Irakien, originaire de la province d'Anbar (ouest) et âgé de 28 ans, indique avoir pris un taxi après avoir atterri à Minsk pour rejoindre la frontière.
Ensuite, il a "marché à travers les bois" en se fiant au GPS de son téléphone et aux "indications données par des Irakiens qui avaient déjà fait le trajet".
Plusieurs migrants disent que les autorités bélarusses ont du mal à nourrir toutes les personnes coincées à la frontière. Certains affirment que seuls les enfants et les femmes ont reçu des vivres au cours des trois derniers jours.
Un ex-chauffeur routier irakien originaire de Souleimaniyeh, à la frontière avec l'Iran, est bloqué là avec sa femme et leurs trois enfants, dont un nourrisson et un garçon de huit ans amputé des quatre membres.
"Je veux aller dans n'importe quel pays qui acceptera de prendre mes enfants", dit-il à l'AFP au téléphone: "Nous sommes tous fatigués et à bout".
L'Irak a affirmé qu'il allait organiser jeudi un premier vol de rapatriement de migrants irakiens bloqués à la frontière "sur la base du volontariat".
Mais nombre d'entre ceux que l'AFP a contactés refusent de revenir en arrière.
"Il est hors de question de partir", balaie Bahaddine Mohsine Kader, un Kurde irakien qui parle anglais et se présente comme un "porte-parole" des migrants.
Il a vécu plusieurs années en Grande-Bretagne avant de revenir au Kurdistan irakien, en 2009. Mais face au manque de perspectives, il a de nouveau choisi l'exil.
"Dites d'abord à l'Irak d'améliorer les conditions de vie", lance-t-il. "Alors, seulement, les gens rentreront".
Prises en étau le long de la frontière entre les deux pays, deux à trois mille personnes au total, souvent originaires du Kurdistan irakien, dont de nombreux enfants, se préparaient lundi soir à passer une nouvelle nuit dehors par des températures négatives.
"On attend ici, entre soldats polonais et bélarusses. Ils ne nous laissent aller nulle part", a dit par téléphone à l'AFP, Aryan Wali Zellmi, un Kurde d'Irak âgé de 25 ans. "Je veux aller dans n'importe quel pays. Nous sommes tous fatigués et à bout", a abondé, également par téléphone, un ex-chauffeur routier irakien, bloqué avec sa femme et leurs trois enfants, dont un nourrisson et un garçon de huit ans amputé des quatre membres.
Les Européens accusent Minsk d'avoir organisé depuis l'été des mouvements migratoires depuis le Moyen-Orient vers les frontières polonaise et lituanienne pour se venger de sanctions occidentales prises après la répression de l'opposition dans ce pays suite à un scrutin contesté.
L'UE va adopter "dans les prochains jours" de nouvelles sanctions contre des personnes et organisations contribuant à l'afflux des migrants, a annoncé lundi le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept à Bruxelles.
Ces sanctions toucheront "un nombre important" de personnes et entités, a-t-il souligné.
Dans le même temps, la pression sur le dirigeant bélarusse s'est accrue, avec un entretien entre la chancelière allemande Angela Merkel et le président bélarusse Alexandre Loukachenko.
Mur polonais
Le président bélarusse Alexandre Loukachenko, dont la réélection en août 2020 n'a pas été reconnue par l'UE, a de nouveau nié lundi toute responsabilité.
Il a même assuré vouloir le retour des migrants "chez eux": "Nous sommes prêts (...) à les mettre tous dans des avions qui les ramènent à la maison. Un travail actif est en cours pour convaincre ces gens", a-t-il déclaré, selon l'agence d'Etat Belta.
Mais, a-t-il insisté, "ils ne veulent pas rentrer. Il est clair qu'ils n'ont plus où rentrer, plus de domicile, et n'ont rien pour y nourrir leurs enfants".
Ses propos n'ont pas semblé convaincre les ministres européens des Affaires étrangères.
"Je n'ai aucune raison de croire que ce que (M. Loukachenko) dit est vrai", a insisté le chef de la diplomatie lituanienne Gabrielius Landsbergis.
De son côté, la Pologne a annoncé lundi qu'elle commencerait en décembre la construction d'un mur le long de la frontière avec le Bélarus, en vue de l'achever au premier semestre 2022, selon un communiqué du ministère de l'Intérieur.