DUBAΪ: Les puzzles qui représentent des œuvres de grands artistes comme Vincent van Gogh, Gustav Klimt ou Hokusai, sont monnaie courante de nos jours. Mais une entrepreneuse libanaise a pour ainsi dire changé la donne en introduisant des artistes arabes.
Camille Saade a lancé Pazel – du nom de la transcription phonétique du mot «puzzle» –, qui rend hommage à trois artistes multigénérationnels du Liban et de la Syrie.
Ce projet culturel découle de la passion que cultive Saade pour l'art. «À chaque fois que je visitais des musées et des expositions, j'adorais leurs boutiques et leurs magasins et les objets qu'ils vendaient. J'avais l'habitude d'acheter des puzzles chaque fois que je le pouvais», confie-t-elle de Beyrouth à Arab News.
«Le 17 octobre 2019, lorsque les manifestations ont commencé à Beyrouth, nous étions enfermés à la maison et j’étais en train de faire l'un de ces puzzles. Ma sœur se trouvait à mes côtés et je lui ai dit: “Il n’existe pas de jeux aussi amusants et éducatifs qui reflètent notre art, notre culture.” C'est ainsi que l'idée m'est venue. J'espère que ce sera quelque chose de nouveau et de frais, et que les gens l'apprécieront.»
Elle espère faire connaître certains artistes régionaux talentueux qui ne sont peut-être pas aussi connus que leurs homologues étrangers. «Si je parle de Picasso ou de Damien Hirst à mes amis, même s’ils ne sont pas amateurs d'art, ils sauront de qui il s’agit. Mais ils ne connaissent pas, par exemple, Abdel Rahman Katanani. Ils me demandent: “Qui est-ce?”. C'est donc aussi un moyen de sensibiliser les gens à la culture et de les éduquer», explique Saade.
La jeune entrepreneuse reversera également un pourcentage des bénéfices de Pazel à la Beirut Heritage Initiative, lancée l'année dernière dans le but de restaurer le patrimoine architectural et culturel de Beyrouth.
Pour l'aider à donner forme à son idée, Saade a rencontré le marchand d'art et galeriste libanais Saleh Barakat. Il lui a présenté quelques artistes ainsi que leurs œuvres. «Il était très enthousiaste, dès le début. Il encourage tout projet qui fait la promotion de l'art», déclare-t-elle. «Nous avons essayé de trouver des artistes qui étaient partants et prêts à jouer le jeu.»
La première série de jeux de Pazel présentera des œuvres naturelles, géométriques et figuratives des artistes libanais Bibi Zogbé (1890-1973) et Nabil Nahas (né en 1949), ainsi que du Syrien Anas Albraehe (né en 1991). «Ils ont quelque chose en commun, car tous les trois ont quitté leur pays», précise Saade. «Bibi, une artiste féminine qui était en avance sur son temps, a quitté le Liban pour l'Argentine. Nabil Nahas est parti aux États-Unis pendant la guerre civile, et Anas a dû fuir la Syrie. Ils ont rencontré le succès en dehors de leur pays.»
Pendant le confinement lié à la Covid-19, les puzzles et les autres jeux de société sont devenus très populaires. Bien que ce soit un passe-temps amusant pour les jeunes, le puzzle peut également présenter des avantages cognitifs, estime Saade, qui s’est penchée sur la question. «Un puzzle dispose de nombreux atouts. D’abord, il convoque votre capacité à résoudre les problèmes, stimule la reconnaissance spatiale. Cette discipline est très axée sur les détails. Les puzzles font travailler la mémoire; ils sont ainsi recommandés pour lutter contre la maladie d'Alzheimer. Les enfants autistes aiment généralement jouer à des puzzles. Si j’en crois mon expérience personnelle, cela ressemble à la méditation. C'est une activité antistress dans laquelle votre cerveau ralentit littéralement. Vous ne pensez à rien et vous vous concentrez uniquement sur l’œuvre d'art qui est devant vous. Nous sommes constamment rivés sur nos écrans; je pense que cette activité constitue une diversion», explique-t-elle.
Chaque boîte Pazel colorée est livrée avec cinq cents pièces de puzzle ainsi qu’une petite fiche qui répertorie les détails de l'œuvre présentée. Une biographie de l'artiste figure au dos de la boîte pour la rendre encore plus éducative. Le plus important pour Saade, toutefois, c’est la peinture elle-même. «Je voulais que l'œuvre d'art soit la pièce maîtresse de l'emballage», note-t-elle.
Pazel a été conçu à Beyrouth, mais Saade aimerait que son idée intéresse les amateurs d'art arabe, à Paris et à Dubaï notamment. Étant donné que les start-up et les jeunes entrepreneurs libanais sont dans l’incertitude – l'économie du pays reste instable –, la volonté de Saade de rester au Liban pour proposer une nouveauté s’inscrit à contre-courant.
«À certains moments, j'étais réticente; j'ai hésité en raison de la fluctuation de la monnaie. Je pensais que ce n'était peut-être pas le bon moment et que je devais attendre. Mais, encore une fois, je me suis dit: “Attendre quoi?” Je ne pense pas que les choses changeront de sitôt. Alors, j'ai pris le risque et je me suis lancée», conclut-elle.