PARIS: La cour d'assises spéciale de Paris a passé en revue toute la semaine les parcours de vie de 14 hommes accusés à des degrés divers d'avoir participé aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, qui ont fait 130 morts.
Sans évoquer à ce stade leur religion, la cour a survolé la jeunesse, souvent "heureuse", des accusés présents - six autres sont jugés par défaut -, leurs expériences professionnelles et antécédents judiciaires.
Salah Abdeslam
Seul membre encore en vie des commandos projetés par le groupe Etat islamique (EI), ce Français de 32 ans, fils d'immigrés marocains, qui a grandi dans le quartier bruxellois de Molenbeek, a été le premier interrogé par la cour.
Muet pendant l'enquête, véhément au début du procès, il a adopté un ton calme pour dresser un autoportrait très lisse.
Dans sa vie "d'avant", Salah Abdeslam était "gentil, calme, serviable", "bon élève" et "ambitieux", a-t-il dit un sourire en coin.
"Je vivais comme vous m'avez appris à vivre en Occident", a poursuivi l'accusé, qui voulait "comme tout le monde (se) marier et avoir des enfants".
"Ce projet-là, je l'ai abandonné à partir du moment où je me suis investi dans autre chose, c'est-à-dire les affaires qu'on me reproche aujourd'hui", explique laconiquement celui qui s'est présenté à la cour comme un "combattant de l'Etat islamique".
Mohamed Abrini
Ami d'enfance de Salah Abdeslam, ce Belge de 36 ans est bien plus prolixe que son voisin de Molenbeek et de box. "L'homme au chapeau" des attentats de Bruxelles a le parler franc, il est "spontané", remarque son avocate.
En échec scolaire, Mohamed Abrini entre dans la "moyenne délinquance" et pour la première fois en prison six jours avant ses 18 ans.
Dans un quartier où, dit-il, la violence est partout, il vit "à 1 000 à l'heure", gaspille certains jours "jusqu'à 4/5 000 euros".
Son destin a été "percuté de la même manière" que celui de Salah Abdeslam: "j'ai perdu un frère", Souleymane, mort en Syrie, "il a perdu un frère", Brahim, tueur et kamikaze des terrasses le 13 novembre 2015.
Mohammed Amri
Belgo-marocain de 33 ans, il arrive à Molenbeek à l'adolescence, à la faveur d'un regroupement familial. Il a travaillé comme chauffeur pour les maraudes du Samu social et, "au noir", en tant que barman dans le café de Brahim Abdeslam.
Il est aussi connu pour "ne pas aimer le conflit" et être "très serviable", insiste sa défense.
Il est accusé d'avoir exfiltré Salah Abdeslam de France après les attentats.
Yassine Atar
Belge d'origine marocaine de 35 ans, il a six frères et sœurs, dont Oussama, commanditaire des attentats, présumé mort et jugé par défaut au procès.
"Oussama Atar, c'est Oussama Atar", avait martelé au début du procès celui qui considère qu'il n'a "plus de frère" depuis longtemps, et a renommé son fils, qui portait ce prénom. La cour rappelle aussi les noms de ses "très proches" cousins, les frères El Bakraoui, kamikazes des attentats de Bruxelles.
Il balaie, préfère parler de ses passions pour le football, les voitures et les voyages "all-in" dans des hôtels des quatre coins du monde. Il a arrêté sa scolarité avant le bac et enchaîné les petits boulots. Chemise de marque, bien coiffé, il est selon ses proches "beau parleur, social, bavard".
Hamza Attou
Ce Belge de 27 ans au visage poupin décrit comme d'autres "une bonne enfance", choyé par ses parents "honnêtes" et "chouchouté" par ses sœurs, avant de devenir accro au cannabis - il fumait jusqu'à "5 grammes" par jour.
Son "train de vie" l'amène à travailler et à dealer au café de Brahim Abdeslam, rendant aussi "des services" aux frères.
A fleur de peau à la barre, Hamza Attou dit se reconnaître dans le portrait que fait de lui sa famille: "naïf, généreux". "Malheureusement, ça ne m'a pas beaucoup porté chance".
Sofien Ayari
Compagnon de cavale de Salah Abdeslam après les attentats, ce Tunisien de 28 ans avait gardé le silence pendant l'enquête.
Crâne rasé, grosse barbe taillée, l'air grave - "une carapace" pour son avocat - il en dit un peu plus devant la cour: une enfance heureuse en banlieue de Tunis dans une famille de la classe moyenne, des parents qui poussent aux études - il fera un BTS en génie électrique. Il avait une petite amie, "elle voulait terminer la fac" avant le mariage.
Très proche d'elle et de sa famille, il n'avait prévenu personne de son départ en Syrie. "S'il y a quelque chose qui pouvait me retenir, c'était les larmes de ma mère".
Mohamed Bakkali
Belgo-Marocain de 34 ans, crâne rasé, barbu, il est décrit par son entourage comme tranquille, calme, sans nervosité. "Ce n'est peut-être plus toujours le cas", sourit-il.
Comme d'autres accusés détenus, il raconte comment l'isolement "a pu influer" sur son caractère.
"Je me sens comme un hamster (...) Qu'on le veuille ou non, l'être humain est un être social. Si on lui enlève sa sociabilité, on lui enlève son humanité", dit celui dont l'accusation rappelle "les réelles capacités intellectuelles".
Spécialisé avant son incarcération dans le travail "pas vraiment déclaré" comme la contrefaçon de vêtements, il a obtenu une licence en sociologie en prison. "Ça a été un plaisir et une manière de résister à ce que je vivais".
Abdellah Chouaa
Petites lunettes, mèche coiffée sur le côté, le Belgo-marocain comparaît libre. A 40 ans, il est le plus vieux des accusés devant la cour. "Qu'est-ce que tu fais avec des gamins ?", lui avait dit son frère à propos de ses "mauvaises fréquentations", dont Mohamed Abrini.
"Il disait +c'est des délinquants du quartier+ mais pour moi c'était des bons amis, je m'amusais", évacue-t-il.
Lui aussi a grandi à Molenbeek, dans une famille de neuf enfants. Son père imam est "très strict". Il travaille jeune, puis décroche un CDI à l'aéroport de Zaventem.
Ali El Haddad Asufi
Visage rond, barbe naissante, le Belgo-marocain de 37 ans était chauffeur à l'aéroport de Zaventem.
"Chouchou de la famille" car "petit dernier", il est décrit par ses proches comme "fêtard, joyeux". Fan de boxe, de kickboxing et de football.
"Et les armes, vous vous y intéressez ?", demande la cour. Il est notamment accusé d'avoir rencontré des fournisseurs avec Ibrahim El Bakraoui, proche copain de lycée.
Adel Haddadi
Algérien de 34 ans, il tient devant la cour à s'exprimer en français, "appris en prison". Il a grandi dans une famille kabyle très pauvre - "on était sept enfants dans une chambre" - en banlieue d'Alger.
Crâne dégarni et grosses lunettes, ce passionné d'oiseaux ("je faisais de l'élevage") était un "élève moyen", a été brûlé aux yeux à 14 ans par son frère "violent". Il arrête l'école en quatrième, travaille avec son père sur les marchés, comme serveur, vend des tickets dans les bus. "Une vie de rêve" avec le recul d'aujourd'hui, confie-t-il.
Farid Kharkhach
Grand gabarit, petite queue de cheval sur le haut du crâne, le Belgo-marocain de 39 ans est le seul à dire ne connaître "personne" dans le box.
Dernier de dix enfants, il s'installe en Belgique pour une femme. Pour elle, il "quitte tout", vend son magasin d'informatique "à moitié prix"... et se retrouve à la rue dans un pays qu'il ne connaît pas quand leur histoire capote.
La suite est une succession de "petits boulots" et de "poisse", explique Farid Kharkhach, accusé d'avoir été l'intermédiaire entre la cellule jihadiste et un réseau de fabrication de faux papiers.
Osama Krayem
Ce Suédois de 29 ans est l'un des principaux accusés du procès, et aussi l'un des plus mystérieux.
"Je n'aime pas les détails", lance-t-il dans le box, se contentant d'évoquer en peu de mots une enfance "heureuse" et "simple" au sein d'une famille palestino-syrienne, son travail dans la construction de routes pour la municipalité de Malmö, le foot...
Son interrogatoire laisse deviner toutefois une intégration difficile dans un quartier "sans Suédois" et quelques fêlures: après la guerre en Syrie, "mon cœur a durci", lâche Osama Krayem: "avant, j'étais une autre personne".
Ali Oulkadi
Originaire de Molenbeek, ce Français de 37 ans était un "très, très" proche ami de Brahim Abdeslam, dont il fréquentait régulièrement le café. Aux "Béguines", où il se rend plusieurs fois par semaine, il écoute du rap, joue aux cartes, aux échecs, avec plusieurs de ses coaccusés.
"Une tête, le plus intelligent de la famille", "naïf" aussi, disent de lui les proches de ce père de famille, ancien soudeur qui travaille aujourd'hui "dans le rail".
Muhammad Usman
Peu bavard et mal à l'aise avec les dates, ce Pakistanais a livré quelques bribes de son enfance au sein d'une famille pauvre, le décès de son père, le travail aux champs, les études coraniques, l'accident de moto adolescent, la passion du cricket.
Mais est-il bien né le 15 mai 1993 comme il le prétend ? Muhammad Usman était arrivé en Grèce par la route des migrants avec un faux passeport syrien portant 1981 comme date de naissance, un "écart assez considérable" qui avait déjà interpellé le juge d'instruction.
"Je ne veux pas vous offenser mais vous faites un peu plus âgé" que 28 ans, lui lance l'avocate générale Camille Hennetier.
"Tout ça c'est à cause de l'isolement" en prison, balaie Muhammad Usman, crâne rasé et collier de barbe, laissant la cour dubitative.