NANTERRE : "On marche sur la tête !" Me Olivier Baratelli ne décolère pas : son client est jugé à partir de lundi à Nanterre pour l'affaire de corruption présumée dite de la "chaufferie de la Défense", après vingt ans de procédures qui en ont fait l'un des plus vieux justiciables de France.
"Ça pourrait prêter à sourire de voir un vieil homme de (presque) 98 ans comparaître devant un tribunal", fulmine l'avocat, "mais la situation est beaucoup plus triste".
Ancien dirigeant des ex-Charbonnages de France, Jean Bonnefont est poursuivi devant le tribunal correctionnel, avec quatre autres chefs d'entreprises, pour avoir faussé entre 1999 et 2003 l'attribution du juteux marché du chauffage et de la climatisation du premier quartier d'affaires d'Europe, estimé à plusieurs centaines de millions d'euros.
L'affaire débute en 1998, lorsque le Syndicat mixte de chauffage urbain de La Défense (Sicudef) lance le renouvellement du marché que détenait depuis trente ans la société Climadef, filiale de Charbonnages de France.
Trois ans plus tard, il attribue la concession à un groupement d'entreprises baptisé Enertherm.
Mais les services de la répression des fraudes repèrent vite des anomalies dans le processus. Dès juin 2002, une première information judiciaire est ouverte des chefs de "corruption" et "trafic d'influence", puis une seconde en janvier suivant pour "abus de biens sociaux".
L'enquête met en cause, outre Jean Bonnefont, l'ex-numéro 3 de la Compagnie générale des Eaux-Vivendi Bernard Forterre, 82 ans, et l'homme d'affaires Antoine Benetti, 68 ans.
Le trio est accusé d'avoir faussé le marché afin d'assurer son attribution à Enertherm, dont les actionnaires étaient en réalité les mêmes que ceux de la Climadef, l'ancien concessionnaire.
Selon l'accusation, l'appel d'offres a, en amont, été façonné de manière à écarter les candidats indésirables et deux offres, celle de la société allemande RWE et celle de l'ex-concessionnaire, étaient des offres "de couverture" censée simuler une concurrence.
Au centre de l'entente présumée figurait Charles Ceccaldi-Raynaud, le président "omnipotent" du Sicudef, selon des témoignages de l'époque, mis en examen pour avoir perçu une commission de 5 millions de francs (760.000 euros de l'époque).
Grand absent
Il sera le grand absent du procès. L'ex-sénateur-maire de Puteaux est décédé en juillet 2019 à l'âge de 94 ans, quelques jours à peine avant que le parquet ne prenne ses réquisitions.
Un protagoniste du montage financier, Laurent Gimel, aujourd'hui en fuite au Maroc, a affirmé durant l'instruction avoir remis des sacoches de billets à un proche de M. Ceccaldi-Raynaud. Des pots-de-vin destinés, selon lui, à arroser les membres du Sicudef.
Renvoyés notamment pour "corruption" ou "complicité de corruption" active et passive et "abus de biens sociaux", les principaux prévenus contestent farouchement les faits.
Ils risquent jusqu'à 10 ans de prison et un million d'euros d'amende.
Lundi, leurs conseils entendent plaider en préambule la nullité de la procédure pour "violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable". "Impossible" pour leurs clients de se défendre et pour le tribunal de statuer équitablement sur un dossier financier si ancien, estime Me Jean-Didier Belot, l'avocat de M. Forterre.
La défense a abondamment critiqué, lors des réquisitions, les nombreuses "erreurs factuelles" du parquet et une insuffisance de charges pesant contre le trio d'entrepreneurs.
"Tout est singulier" dans ces 30 tomes de procédure, note lui aussi Me Steeve Ruben, l'avocat de Laurent Gimel.
Les méandres de cette instruction tentaculaire, sur laquelle se sont penchés successivement huit juges, ont également permis de révéler d'importantes sommes sur des comptes ouverts au Luxembourg par la famille Ceccaldi-Raynaud.
Charles Ceccaldi-Raynaud avait accusé sa propre fille Joëlle Ceccaldi-Raynaud, l'actuelle maire de Puteaux, d'avoir reçu ces pots-de-vin, se défendant personnellement de toute infraction.
L'élue LR, tout comme l'opticien Alain Afflelou apparu lui aussi dans le dossier, ont été entendus en tant que témoins assistés pour des fonds suspects versés ou perçus, mais ont finalement été mis hors de cause.
Le procès doit durer jusqu'à vendredi.