BEYROUTH: Le Liban importe quasiment la totalité des denrées dont il a besoin. Et depuis qu’il se débat avec la pire crise économique de son histoire, et que la livre libanaise a perdu 90% de sa valeur, il se retrouve contraint de développer rapidement la production locale. Mais des devises fortes sont nécessaires pour acquérir les matières premières, d’où la nécessité absolue de conquérir des marchés étrangers. Le savoir-faire et la créativité des Libanais n’ont cessé de se réinventer depuis 2019 pour proposer des produits à l’extérieur du pays. Et pour certains, cela fonctionne à merveille.
La petite entreprise Khan el Saboun, qui appartient à Bader Hassoun, en fait partie. Ce qui a commencé avec une production de savon s’étend aujourd’hui à 1400 produits cosmétiques, dont des huiles rares, qui depuis 2020, ont pris d’assaut le marché chinois. «Nous avons développé les produits, mais surtout la philosophie derrière, car ce que les clients recherchent, c’est l’histoire qui les raconte. Nous ne nous sommes jamais concentrés sur la concurrence, juste sur la qualité et la responsabilité sociale dans laquelle nous sommes engagés», explique Amir Bader Hassoun, directeur du développement et de la recherche de l’entreprise familiale. Le fabricant emploie 450 femmes dans son village écologique où sont fabriqués les produits.
Le Liban recèle un potentiel humain immense et un savoir-faire inégalé, qui a su par exemple séduire Cheikha Moza au Qatar ou un client qui a voulu offrir une gamme complète composée sur mesure au prince hériter Mohammed ben Salmane. Le processus a été filmé et la vidéo a été vue 112 000 fois. Un succès qui, depuis 2020, se traduit en chiffres: 480 000 dollars (environ 412 000 euros) de ventes sur le marché chinois. Sans la Covid-19, celles-ci auraient atteint 4 millions de dollars. Khan el Saboun, c’est aussi une réussite jalonnée de récompenses internationales glanées à l’Assemblée nationale ou au Sénat en France. L’entreprise libanaise a même fait son entrée dans le Guinness des records avec un savon en or de 24 carats.
Un modèle qui trouve son écho dans l’alimentaire, avec une deuxième success-story, celle de la société Del Libano.
La compagnie, qui produit des pâtes au Liban, a vu le jour avec le début de la crise. Elle est née d’une entreprise familiale immobilière, qui s’est tournée vers la production alimentaire en l’absence de crédits bancaires à l’habitat. Les membres de la famille décident en 2020 de rassembler tous leurs avoirs pour acheter des machines en Europe, en Égypte et en Chine. Ils démarrent la production en faisant venir sur place des experts ukrainiens pour bénéficier de leur savoir-faire.
Salah Malaeb, le directeur général, se dit avoir été surpris de constater qu’il n’existait pas de production de pâtes locales au pays du Cèdre offrant une gamme complète composée d’un grain de qualité. Un grain qui nécessite un climat modéré pour pousser dans des conditions optimales et donner la meilleure qualité possible, ce qui pour lui, a séduit le marché libanais. Un marché dont le pouvoir d’achat a ailleurs drastiquement chuté. Chez Del Libano, le prix du paquet de 500 g reste plus qu’abordable, puisqu’il oscille entre 6 000 et 7 000 livres libanaises (LL), un tarif capable de concurrencer les marques importées.
Aujourd’hui, Pasta del Libano exporte sa gamme au Liberia, à Abu Dhabi, au Koweït et en Jordanie. La diaspora libanaise y est notamment friande de produits issus du pays, ce qui permet à l’entreprise de brasser des devises fortes et l’oblige à augmenter sa capacité de production. «Tout le monde mange des pâtes, des plus jeunes aux plus vieux, des plus pauvres aux plus riches. Quand nous avons lancé l’entreprise, on nous a traités de kamikazes, mais c’est notre façon à nous d’affirmer que nous pouvons survivre ici en dépit de toutes les épreuves, et que nous ne partirons pas», lance Malaeb, qui explique employer environ 40 familles dans son village défavorisé de Bayssour. «L’affaire qui n’avait pas vocation à devenir une véritable entreprise se révèle fructueuse», explique le PDG de la compagnie, qui a passé dix-sept ans de sa vie en Italie, où son palais s’est familiarisé avec le meilleur des pâtes italiennes.
Deux entreprises qui ont réussi à se frayer un chemin en pleine crise économique et financière et qui peuvent résolument servir d’exemple à d’autres désireuses de se lancer.