BAGDAD: Les élections législatives anticipées du 10 octobre en Irak ont renforcé l'assise parlementaire du leader chiite Moqtada Sadr et marqué un fort recul de ses adversaires du Hachd al-Chaabi, anciens paramilitaires pro-Iran désormais engagés en politique.
Les résultats définitifs du scrutin, organisé pour apaiser la révolte née en 2019, ne seront pas publiés avant plusieurs semaines, le temps pour la commission électorale d'examiner les recours en appel des candidats.
Mais au vu des résultats préliminaires, aucun bloc n'a obtenu de mandat clair. Les nombreux partis vont se lancer dans de longues tractations pour former des coalitions et désigner un Premier ministre.
Quelles alliances?
Tout l'enjeu est de savoir de quel côté les deux protagonistes --le courant sadriste et le Hachd al-Chaabi-- entendent faire pencher la balance.
Le chercheur Harith Hasan du Carnegie Middle East Center voit deux scénarios possibles.
Dans le premier cas, on assisterait à une "alliance chiite" entre Moqtada Sadr et le Hachd al-Chaabi.
Cette option verrait Moqtada Sadr, fort de plus de 70 sièges sur les 329 que comptera le nouveau Parlement, "partager le pouvoir en acceptant un candidat de compromis au poste de Premier ministre et un accord sur certaines grandes lignes de réformes, dont l'avenir et la structure du Hachd al-Chaabi", selon l'expert.
La vitrine politique du Hachd, l'Alliance de la conquête, a vu son nombre de sièges fondre de deux tiers.
Une source au sein de l'Alliance a indiqué à l'AFP que certains de ses dirigeants "ont suggéré à un représentant du courant sadriste de conclure une alliance" avec elle ainsi que d'autres entités chiites.
Un deuxième scénario verrait Moqtada Sadr s'allier avec le chef du Parti démocratique du Kurdistan Massoud Barzani, l'influent leader sunnite Mohammed al-Halboussi et d'autres.
Mais ce scénario n'est possible que si Moqtada Sadr "ne plie pas devant la pression" du Hachd al-Chaabi, souligne Harith Hasan.
Il n'exclut pas "l'escalade vers un conflit armé", dans un pays où tous les acteurs politiques ou presque ont des liens avec des groupes armés.
Des responsables du Hachd ont qualifié les élections d'"escroquerie" et certains partisans ont durci le ton.
Malgré sa débâcle, l'Alliance de la conquête est en mesure d'augmenter ses troupes au Parlement grâce au jeu des alliances avec des partis minoritaires et des indépendants. Et en maintenant son partenariat avec l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, dont la coalition, intitulée l'Alliance de l'Etat de droit, a créé la surprise en remportant une trentaine de sièges.
Quel Premier ministre?
Aucun nom n'a encore émergé pour remplacer Moustafa al-Kazimi.
Le candidat victorieux sera une personnalité de "consensus", estime l'analyste Lahib Higel de l'International Crisis Group.
Si l'on passe les différentes options en revue, le nouveau pourrait tout aussi bien être... l'ancien.
M. Kazimi "a de fortes chances de rester en poste", juge ainsi Harith Hasan.
En poste depuis mai 2020, il n'a pas de parti derrière lui et n'est pas député. Ce sont peut-être des atouts pour être reconduit, car cela permet aux partis de "se débarrasser d'une part de responsabilité", estime Lahib Higel.
Et l'Iran?
La défaite dans les urnes de l'Alliance de la conquête, très proche de Téhéran, ne va pas nécessairement éroder l'influence de l'Iran en Irak.
"L'Iran a de l'influence en Irak depuis 2003", et la chute du dictateur Saddam Hussein dans le sillage de l'invasion américaine, souligne Lahib Higel, bien avant donc que l'Alliance n'entre au Parlement, en 2018.
A en croire Harith Hasan, l'intérêt de l'Iran pour son voisin est triple: "mettre fin à la présence militaire américaine (...), son soutien au Hachd al-Chaabi et préserver le marché irakien pour les produits iraniens".
Téhéran ne voit pas Moqtada Sadr "comme un ennemi mais (les Iraniens) sont conscients des dangers de le voir dominer la scène chiite".
Quid des indépendants?
La nouvelle loi électorale était censée favoriser les candidats indépendants, dans le sillage des revendications de la révolte populaire de 2019.
Selon les résultats préliminaires, le petit parti "Imtidad" (Extension) a obtenu 9 sièges.
A moins d'être absorbé par les grands blocs politiques, il pourrait former un bloc d'une vingtaine d'autres députés indépendants et représenter "une opposition capable de faire pencher la balance lors du vote de certaines lois", estime Lahib Higel.