BAGDAD: Une débâcle: le Hachd al-Chaabi, anciens paramilitaires proches de l'Iran, a perdu deux tiers de ses députés aux législatives irakiennes, un vote sanction d'électeurs qui rejettent le pouvoir des armes et attendent avant tout la relance économique d'un pays en crise.
Deuxième force au Parlement sortant avec 48 députés, l'Alliance de la conquête, vitrine politique du Hachd qui regroupe plusieurs partis, a remporté une quinzaine de sièges au scrutin anticipé du 10 octobre, selon des résultats préliminaires.
Ses dirigeants ont immédiatement crié à l'"escroquerie" et annoncé qu'ils feraient appel, les résultats définitifs du scrutin devant être publiés dans les prochaines semaines.
Pour les experts, un constat s'impose: confronté à l'exercice du pouvoir, le Hachd n'a pas répondu aux attentes de la population, après avoir fait son entrée dans l'hémicycle pour la première fois en 2018, porté par les victoires contre le groupe Etat islamique (EI).
Principaux griefs: des accusations de violence et pratiques répressives à l'encontre de ses factions, composées de plus de 160.000 combattants intégrés désormais aux forces régulières.
Il y a aussi l'absence de projets visant à assurer le décollage économique dans un pays riche en pétrole mais souffrant encore de services publics défaillants et d'une corruption endémique, deux ans après la révolte populaire déclenchée en 2019 pour réclamer des changements.
L'Irak «en chute libre»
Salwa n'a pas voté pour l'Alliance de la conquête, comme elle l'avait fait en 2018. "Ils n'ont porté que des slogans creux", justifie la jeune étudiante. "Mon père a insisté pour que ma mère et moi votions pour la Conquête", assure-t-elle. A la place, elle a opté pour Nouri al-Maliki, ex-Premier ministre détenant le record de longévité à ce poste (2006-2014).
Grande surprise des élections, M. Maliki, allié du Hachd et pilier du camp pro-Iran, a remporté une trentaine de sièges.
Pour le politologue Ihsane al-Chamari, les armes du Hachd ont été "une cause essentielle de sa défaite". Et son alliance assumée avec l'Iran "a grandement nui à sa popularité".
A plusieurs reprises, le mouvement "est apparu au-dessus de l'Etat, ce qui est inacceptable pour son public et pour la rue", souligne l'expert.
Après la révolte d'octobre 2019, des dizaines de militants ont été victimes d'enlèvements, d'assassinats et de tentatives d'assassinat. Les factions pro-Iran ont été pointées du doigt.
Jalal Mohamed, épicier de 45 ans, n'a pas voté pour le Hachd. "Le pays est en chute libre, alors que ses dirigeants (du Hachd, NDLR) vivent dans la Zone verte (secteur ultra-sécurisé de Bagdad), ils ont des convois de protection interminables et ils ne voient personne".
Electorat fragmenté, votes perdus
"D'un point de vue organisationnel, ces élections sont les pires dans l'histoire de l'Irak", fustige Hassan Salem, député de l'Alliance de la conquête, dénonçant dans un communiqué "une opération organisée pour voler les votes".
Une source du camp pro-Iran rapporte des querelles au sein du Hachd, les dirigeants se rejetant la responsabilité du fiasco: plusieurs candidats du même bord ont été mis en compétition, fragmentant ainsi l'électorat.
"Les différents partis ont tenté d'imposer leur propre candidat dans une même circonscription et les votes ont été perdus", estime cette source sous couvert de l'anonymat.
Malgré sa déroute, le Hachd devrait peser au Parlement, grâce à la cooptation des "indépendants" et au jeu des alliances notamment avec Nouri al-Maliki.
Le chercheur Harith Hasan impute le succès de M. Maliki à des "candidats forts qui ont rencontré un écho parmi l'électorat chiite, associant (M. Maliki) à un Etat chiite fort, plutôt qu'à un Etat dominé par des milices".
Nouri al-Maliki a "attiré les votes des catégories sociales ayant bénéficié des largesses de son gouvernement en matière d'emploi et de clientélisme, quand les prix du pétrole étaient au plus haut", écrit l'expert dans une analyse publiée par le Carnegie Middle East Center.
Samedi soir, plusieurs partis chiites ont durci le ton, accusant dans un communiqué la commission électorale de ne pas avoir "corrigé des violations majeures" dans le décompte, lui imputant "l'échec du processus électoral" et mettant en garde contre "les répercussions négatives sur la marche démocratique".