DUBAÏ: Un homme se tient dans la rue ; il tend les mains en l’air avec colère. D'autres hommes, par groupes l'entourent; gesticulant avec ferveur. Certains arborent le drapeau algérien avec son incontournable étoile rouge. La photo en noir et blanc, du photographe algérien Fethi Sahraoui, capture les manifestants algériens du Hirak qui sont descendus dans la rue en février 2019 pour exiger la démission immédiate d'Abdelaziz Bouteflika. La photographie de Sahraoui résume un moment historique du chemin de l’Algérie vers la transformation politique.
«En tant que citoyen algérien, avant même de devenir photographe, j'ai développé un lien particulier avec les manifestants», explique Sahraoui à Arab News depuis Alger. «Ensuite, j'ai commencé à prendre des photos. C'était ma façon de documenter ce qui se passait autour de moi. Je suis issu d'une génération qui a été trahie par les politiciens. Pendant de nombreuses années, les Algériens ont évité de parler politique, mais maintenant les jeunes parviennent à orchestrer un mouvement pour le changement.»
Dans All What I Want is Life, une exposition récente à Gulf Photo Plus sur l’avenue Alserkal de Dubaï, des œuvres de photographes du Moyen-Orient présentent des scènes de la vague de manifestations récentes dans la région. Le titre est inspiré d'un des nombreux messages gravés sur les murs de Bagdad ravagée par la guerre – All what I want is life – sur l'un des sites où se sont déroulées des manifestations. Le message est celui qui révèle les émotions communes et les désirs de changement qui lient tous les manifestants ainsi que les photographes qui documentent ces mouvements dans l'exposition.
Des images et des vidéos qui immortalisent les récentes manifestations au Liban, en Irak, en Algérie et au Soudan sont exposées. Leur pouvoir réside dans leur capacité à créer un héritage de ces temps de changement et à préserver l'éthique du mouvement de protestation.
«Les manifestations dans le monde arabe qui ont débuté en 2019 sont le résultat d'un ensemble complexe de circonstances et d’héritages. Cette nuance se perd souvent dans un post sur Facebook, un article de journal ou un tweet, explique Mohamed Somji, photographe et fondateur de Gulf Photo Plus. Notre exposition présente toute la variété des perspectives visuelles des photographes de ces villes, qui, nous l'espérons, offre une histoire plus complète et complexe que celle qui est présentée dans les médias traditionnels.»
L'année 2019 a vu des mouvements de protestation à travers le Moyen-Orient qui ont exigé un changement des régimes politiques actuels. Ces cris des citoyens cherchaient à mettre fin à des années de corruption, d'inégalité économique et de politiques perturbatrices, de division et d'exclusion. Presque tous ces mouvements se sont poursuivis jusqu'en 2020. Un changement total et durable reste à venir.
«Couvrir les manifestations me semblait un devoir même si au début j'hésitais, ajoute Sahraoui. L'Algérie a traversé une guerre civile sanglante dans les années 1990 et je suis né au milieu des années 90! J'ai grandi pendant la guerre civile et les traumatismes nous entouraient. Au début des manifestations, nous craignions qu'elles ne deviennent violentes. Mais ça ne s’est pas produit. Les manifestants étaient pacifiques mais cela n’a pas attiré les médias occidentaux. Ces derniers ont couvert le début des manifestations qu'au début, mais lorsqu'elles se sont révélées largement pacifiques, sans violence ni affrontements politiques, la communauté internationale s’en est désintéressée.»
Le photographe irakien Amir Hazim couvre les manifestations à Bagdad depuis octobre 2019, lorsque les manifestants se sont rendus dans des lieux publics tels que la place Tahrir pour exprimer leur besoin de changement et leurs griefs contre le gouvernement irakien. Hazim entendait les cris des gens assiégés qui hurlaient, exigeant une vie nouvelle après des années de corruption, de chômage et de pauvreté.
«Le fait de participer aux manifestations et de les documenter à travers mes photos a été l'un des événements les plus marquants pour moi, se confie Hazim, 23 ans. C'était nouveau pour moi et pour ma génération d'aller protester contre notre gouvernement. C'était passionnant, mais aussi dangereux. C'est un choix que vous faites dès le jour où vous décidez d'aller photographier les gens.»
Pour lui, le fait de prendre des photos des manifestations offre des «témoignages visuels» et constitue en soi une forme de protestation. «Ces photographies m'ont fait me sentir plus connecté à ma communauté. », a-t-il déclaré à Arab News. «Vous êtes aux premières loges pour voir la souffrance et pour entendre le besoin de changement.»
Prendre des photos lors d'une manifestation avec des dizaines de personnes avec le risque de violence à tout moment n'est pas facile.
«J'ai dû ajuster mon appareil photo très vite pour capturer ces moments. Je n’étais absolument pas dans ma zone de confort, ajoute-t-il. C'était aussi la première fois que j'utilisais l'appareil photo que j'avais acheté après avoir obtenu mon diplôme dans le cadre des manifestations. Je veux que les visages et les sentiments des manifestants restent dans l’histoire.»
C’est la musicienne et photographe soudanaise Lana Haroun qui a capturé l’image de cette manifestante devenue la « reine nubienne » du Soudan. La femme est Alaa Saleh, 23 ans, étudiante en ingénierie et architecture de la capitale soudanaise de Khartoum, photographiée par Haroun alors qu'elle se tenait au sommet d'une voiture vêtue de blanc, la main droite levée au-dessus de la tête avec un doigt tendu pointant au-dessus, exigeant un changement.
«Elle appelait au changement», décrit Haroun, qui se rappelle que, ce 8 avril 2019, elle a rapidement sorti son téléphone et pris la photo de Saleh. En quelques heures, l’image est devenue virale sur les réseaux sociaux : elle s’est mise à incarner quatre mois de manifestations de rue contre le régime autoritaire du président Omar al-Bashir.
Quelques jours plus tard, le 11 avril 2019, Bashir était évincé.
«Je voulais donner une image réelle de ce qui se passait lors de ces manifestations et m'éloigner des fausses nouvelles dans le pays, explique Haroun. Sans photos ni vidéos, personne n’aurait su la vérité.»
Haroun raconte combien ont eu peur d'aller aux manifestations. «Certaines personnes sont mortes, mais parfois vous devez vous sacrifier pour la vie que vous voulez vivre», ajoute-t-elle.
En 1999, le célèbre intellectuel palestinien Edwards Saïd a dénoncé ce qu'il a appelé l'état «désorganisé» de la mémoire collective arabe. Il y avait alors un manque de documentation et de conservation de registres. Mais aujourd'hui, le Moyen-Orient, notamment à travers la voix de sa jeunesse, a tourné une page. À la fin d’une des décennies les plus mouvementées de l’histoire de la région, le citoyen ordinaire prend son destin en main. Il veut écrire son propre avenir. Et ces artistes ont donné à leur voix une place dans l'histoire.
Consultez les photos de l'exposition en ligne sur gulfphotoplus.com
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com