PARIS: Sur fond de tension diplomatique avec l’Algérie, le président Emmanuel Macron participe ce samedi à une commémoration officielle du massacre sanglant du 17 octobre 1961.
Il est le premier président de la Ve République à commémorer le 60e anniversaire de ce jour de répression brutale, sciemment occulté pendant de nombreuses années par la France.
En ce jour, des milliers d’Algériens manifestent à différents endroits de la région parisienne contre le couvre-feu qui leur est imposé sous prétexte de lutter contre les attaques du Front de libération national (FLN) visant les forces de police française.
La réponse orchestrée par le préfet de police de l’époque, Maurice Papon, ancien fonctionnaire de Vichy, qui sera plus tard jugé pour crimes contre l’humanité, est sans merci.
Macron avait décidé de faire de la guerre d’Algérie le « défi mémoriel » de son quinquennat
Arlette Khouri
Des milliers d’Algériens sont raflés et brutalisés, d’autres seront tués par balles et jetés dans la Seine par les forces de l’ordre.
L’État français va s’employer à dissimuler ce massacre et, à ce jour, les historiens peinent à déterminer le nombre des victimes de cette répression qui s’élève à plus de 120 personnes.
C’est cette journée de barbarie abjecte que Macron s’emploie à reconnaître en se rendant sur un lieu de mémoire où se tiendra la commémoration.
Macron avait décidé de faire de la guerre d’Algérie le «défi mémoriel» de son quinquennat.
D’un commun accord avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, il avait confié à l’historien Benjamin Stora la rédaction d’un rapport supposé apaiser les mémoires rivales autour de la guerre d’Algérie.
Mécontentement et crise diplomatique
Une fois rendu public, le rapport Stora a mécontenté l’Algérie, au même titre que la demande de pardon aux harkis, officiellement formulée par Macron en septembre dernier.
Pourtant, Macron estime que la France se doit de réparer le mauvais traitement qu’elle a infligé aux harkis, ces Algériens qui ont combattu à ses côtés pendant la guerre d’Algérie.
Une mémoire apaisée ne peut sous aucun prétexte être une mémoire sélective, et la méthode de Macron consiste, selon l’Élysée, «à regarder l’histoire en face» et aller de l’avant.
À défaut d’être une démarche conjointe avec l’Algérie, c’est une démarche que le président entreprend «pour nous, Français», indépendamment de «l’état de nos relations avec l’Algérie», indique l’Elysée.
Car entre temps, la tension est montée d’un cran, à la suite de la décision française de réduire le nombre des visas accordés aux Algériens.
Cette décision inédite concerne la Tunisie et le Maroc, tout comme l’Algérie, parce que ces trois pays refusent de reprendre leurs ressortissants que la France ne souhaite pas garder sur son territoire.
Mais les Algériens sont ceux qui réagissent avec le plus de virulence en convoquant l’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, pour lui remettre une protestation formelle.
La tension s’aggrave à nouveau, lorsque le journal Le Monde rapporte des propos tenus par Macron lors d’une rencontre avec de jeunes Algériens, où il estime que l’histoire algérienne est «totalement réécrite» et s’appuie sur «un discours qui repose sur la haine de la France».
La réaction de l’Algérie ne s’est pas fait attendre: elle a immédiatement rappelé son ambassadeur en France et déclaré son «rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures».
Suivra la décision d’interdire le survol de son territoire aux avions militaires français de la force Barkhane déployée au Mali.
Macron déterminé à poursuivre sa démarche
Les choses étant ce qu’elles sont, la France est déterminée à poursuivre sa démarche mémorielle, sans «rechercher l’approbation du président Tebboune, ni des autorités algériennes», car selon l’Elysée, «c’est une démarche qui appartient à notre histoire et notre communauté nationales».
Ainsi donc, Macron s’en tient à respecter son engagement à participer à trois journées mémorielles qu’il a pris lors de la remise du rapport Stora.
La première journée a eu lieu le 25 septembre, et a débouché sur la mise en route d’un projet de loi de reconnaissance et de réparation à l’égard des harkis, en raison de la singularité du traitement qui leur a été infligé.
La troisième aura lieu le 19 mars 2022, à l’occasion du soixantième anniversaire de la signature des accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie.
À travers cette commémoration, Macron ira-t-il encore plus loin que ne l’a fait l’ancien président François Hollande, il y a neuf ans, en concédant que «la République reconnaît en toute lucidité» la répression sanglante de la manifestation des Algériens?
Arlette Khouri
Quant à la deuxième, elle se déroulera ce samedi au pied du Pont de Bezons à Colombes en hommage aux victimes du 17 octobre 1961.
Cette participation de Macron consiste d’abord à «reconnaître», c’est-à-dire «acter de la vérité de l’histoire, notamment en ses aspects qui habitent encore les mémoires, et donc notre mémoire républicaine au sein de laquelle chaque citoyen pourrait se reconnaître», quels que soient ses origines et ses ancêtres.
Le président, affirme l’Élysée, ne cherche «ni à réécrire l’histoire, ni à la réinventer».
C’est une démarche dont le but est «d’acter en République une vérité incontestable».
Regarder l’histoire en face et reconnaître, c’est aussi «refuser toute forme de déni ou de repentance», c’est «dire ce que la République doit à la vérité», afin que toutes les mémoires puissent cohabiter respectueusement et en vue «de constituer une mémoire républicaine commune et apaisée».
À l’issue de cette cérémonie durant laquelle il n’y aura pas de discours présidentiel, sera diffusé sous forme de communiqué un texte qui précisera «le sens et la portée de cette reconnaissance».
À travers cette commémoration, Macron ira-t-il encore plus loin que ne l’a fait l’ancien président François Hollande, il y a neuf ans, en concédant que «la République reconnaît en toute lucidité» la répression sanglante de la manifestation des Algériens? «Oui», affirme l’Élysée, sans vouloir donner plus de détails, poursuivant que la reconnaissance est plus importante que le fait de présenter des excuses «qui n’engagent que celui qui les prononce».
Le choix de Bezons, explique-t-on à l’Elysée, est dû au fait que de nombreux cadavres ont été jetés dans la Seine à cet endroit.
Quant à la date du 16 septembre, elle a été retenue pour ne pas faire ombrage aux cérémonies organisées traditionnellement à Paris et en banlieue le 17 octobre.
Reste quand même une interrogation: quel regard jetteront les autorités algériennes sur cette journée de reconnaissance?
La réponse de l’Élysée est sans équivoque: «l’expérience nous enseigne que, de toute façon, quelle que soit la qualité du geste fait», pour l’Algérie «c’est rarement suffisant ou rarement pertinent».