PARIS: C'est le seul orchestre au monde qui joue des répertoires multiples, de Jean-Philippe Rameau à Luciano Berio, avec les instruments de l'époque de l'oeuvre. Depuis près de 20 ans, « Les Siècles » est un « musée vivant » des instruments historiques, selon son fondateur, le chef d'orchestre François-Xavier Roth.
« C'est comme un chef cuisinier qui ferait une recette du temps de Louis XIV avec les légumes de l'époque », s'amuse à dire ce Français de 49 ans au cours d'un entretien accordé à l'AFP.
Etre au plus près de ce qu'a entendu le compositeur, telle a été l'« utopie » de M. Roth qui dirige depuis samedi l'opéra « Pelléas et Mélisande » de Debussy au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, où il entame une résidence.
Ce qui a commencé par des répétitions dans son salon en 2003 avec un groupe d'amis musiciens est devenu un orchestre à succès, jouant dans les plus grandes salles du monde.
« C'est comme un musée, mais un musée vivant (...). D'entendre l'orchestre qu'a pu entendre, Debussy, Berlioz, Mahler, c'est vraiment ma grande fierté », affirme François-Xavier Roth, également directeur musical de Cologne et principal chef invité de l'Orchestre symphonique de Londres.
« On peut retranscrire ce que les compositeurs ont voulu dire bien mieux avec les instruments qu'ils ont connus (...) et les musiciens des ‘Siècles’ sont des caméléons qui ont appris à jouer de tous ces différents instruments ».
« Pas une prouesse sportive »
Alors que les ensembles jouant sur des instruments d'époque se focalisent généralement sur un seul répertoire, « Les Siècles » sont d'une versatilité sans pareille, allant jusqu'à changer trois fois d'instruments en une soirée pour passer du baroque au XXe siècle.
« Ce n'est pas une prouesse sportive. Musicalement, quelque chose fait sens », souligne M. Roth, qui a même dirigé avec « Les Siècles » le « Get Lucky » de Daft Punk aux concerts des Proms à Londres en 2017.
A l'époque où il étudiait au Conservatoire de musique à Paris, « il y avait d'un côté ceux qui adoraient la création contemporaine; de l'autre, tout un pan de musiques était redécouvert, baroque, classique, préromantique et on redécouvrait les instruments d'époque », se rappelle-t-il.
« J'étais fasciné par ces deux mondes mais frustré qu'ils se rencontrent assez rarement au sein d'un même concert ».
Pour Hélène Mourot, hautboïste au sein des Siècles, jouer des instruments historiques - qu'ils soient des originaux ou des copies faites par des luthiers - donne « des micro-nuances, des couleurs en plus ».
Et plus encore à mesure qu'on recule dans le temps.
« Quand je jouais du Berlioz (XIXe siècle) sur un instrument moderne, je ne comprenais rien. Je trouvais ça fatigant et impraticable sur l'instrument », explique-t-elle.
Et en quoi résident les nuances?
« La différence principale (entre un hautbois moderne et celui de la musicienne datant de 1894), c'est la perce, c'est-à-dire la façon dont le trou est fait à l'intérieur du bois. Comme la perce (à l'époque de Debussy) est plus fine, le son a moins de volume mais plus de timbre, donc on va jouer moins fort mais avec une couleur plus marquée », précise-t-elle.
Brocantes et eBay
Roth rappelle que la forme des archets des instruments à cordes a changé, et qu'un violon moderne a des cordes en métal alors que jusqu'à la Seconde guerre mondiale, en Europe, elles « étaient en boyaux, donc la couleur du son est totalement différente ».
« Les Siècles » respecte également les différences géographiques puisqu'au XIXe siècle, les instruments n'étaient pas les mêmes en Allemagne qu'en France.
Constituer cet impressionnant parc instrumental est toute une aventure. Hélène Mourot, qui a à elle seule une quinzaine de hautbois, a acheté son instrument auprès d'une personne qui l'a trouvé dans le grenier de son grand-père.
« Pour les instruments d'avant 1830, c'est rare de trouver des originaux en bon état ou qui ne soient pas dans les musées », dit-elle. Si des instruments se chiffrent à des milliers d'euros, il y a aussi de bonnes affaires sur internet.
« Nos musiciens sont de véritables Indiana Jones qui recherchent ces instruments partout dans le monde (...) dans des brocantes ou sur eBay », affirme M. Roth, dont l'orchestre est financé par le public et plusieurs mécènes.
Avec parfois des trouvailles émouvantes, comme un basson qui aurait joué à la première du Sacre du Printemps de Stravinsky.