PARIS: « J'ai fait le mort pendant deux heures, essayé de fusionner avec le sol »: au procès des attentats du 13 novembre 2015, des rescapés du massacre au Bataclan ont commencé à raconter mercredi comment ils sont restés à « la merci » de « l'inhumanité aveugle » des assaillants.
Ce vendredi soir-là, Irmine assiste au concert du groupe Eagles of Death Metal avec son ami Fabian. Ils sont près de l'entrée, elle « en noir », lui en « imper blanc » derrière elle, tient à préciser la quinquagénaire à la barre de la cour d'assises spéciale de Paris.
Fabian ne survivra pas aux premiers tirs d'un long carnage qui fera au total 90 morts.
Dès le début de l'attaque, Irmine entend « un homme d'une voix assez aigue, presque juvénile, sans accent, crier: ‘la France n'a rien à faire en Syrie’, puis ‘Le premier qui bouge, je le tue’ ».
« On a envie d'entrer dans la terre », confie la femme de 55 ans, tailleur noir strict et carré grisonnant, première partie civile à livrer son récit de l'attaque du Bataclan.
La salle de spectacles est plongée dans « l'obscurité », elle devient pour Irmine « un gouffre, un trou noir » où les « corps sont indiscernables ».
Au bout d'« une demi-heure peut-être », le chef de la sécurité de la salle, « Didi », lance « d'une voix ferme: ‘sortez vite, ils sont en train de recharger leurs armes’ », se souvient Irmine.
Sur le chemin de la sortie, elle voit « l'imperméable, les jambes, les chaussures de Fabian », sa « tête méconnaissable ». Elle essaie de le « tirer vers l'arrière », en vain dit-elle.
« Face contre terre »
« Les mains pleines de sang », Irmine est d'abord recueillie chez des riverains, elle semble « aller bien ». « J'ai eu beaucoup de chance: les balles m'ont traversée la poitrine, mais superficiellement ».
Au début du concert, Jean-Marc se dirigeait vers la sortie pour fumer une cigarette quand il entend des « sons bruyants » et se trouve « nez-à-nez avec les trois assaillants », qui « tirent en rafale ».
« J'ai vu des personnes autour de moi recevoir des balles, tout le monde s'est mis à hurler, tombant soit parce qu'elles étaient touchées, soit par l'effet de mouvement », décrit Jean-Marc, 40 ans, sweat à capuche sous une veste en jean.
Tout au long de sa déposition, sa voix ne cesse de trembler.
« Au sol, prostré, sans possibilité de fuir », il reste « face contre terre », avec « le sentiment d'être complètement à découvert, à la merci des tireurs ». Il a « le son, pas l'image ». Sauf « les pieds » d'un djihadiste, tout près de son visage. « J'ai senti les douilles tomber sur ma tête ».
« On était complètement impuissants, à ne pas savoir si on allait se prendre la prochaine balle ou pas. C'est tellement inhumain. Ça a été pensé pour laisser des traces indélébiles », souligne Jean-Marc, un soupçon de colère dans la voix.
Il fera « le mort jusqu'à la fin de l'attaque ». C'est en relevant la tête qu'il mesure « l'ampleur du massacre ». « Un policier a dû me hurler dessus pour me faire sortir ».
« Tirés comme des lapins »
Cédric aussi a « fait le mort pendant deux heures ». « J'ai essayé de fusionner avec le sol », résume cet ancien chauffeur-livreur de 41 ans, un tee-shirt noir et larges tatouages.
Ce soir là, tout est allé « très très vite ». Ce qui ressemble à un « crac » ou des « pétards », une foule qui « tombe », des assaillants qui rechargent leurs armes.
« Ils nous tiraient comme des lapins, dès qu'un téléphone sonnait ou que quelqu'un criait à l'aide », insiste Cédric.
De ce méthodique massacre, il garde une jambe droite piétinée qui ne peut « plus courir », la « culpabilité d'être vivant ».
Et puis « toutes ces images ». Celles de cette « personne s'étouffant dans son sang », celle qui est morte en le fixant des yeux, ceux sur lesquels « il a fallu marcher » pour sortir.
Cédric interpelle le box des accusés: « messieurs qui avez fait le jihad, est-ce que vous avez vu des gens mourir en les regardant dans les yeux ? ». « Vous nous avez attaqués, mais nous sommes innocents, non armés. Vous êtes en colère contre un Etat, pourquoi nous ? »
Le président de la cour Jean-Louis Périès intervient alors, pour rappeler que les accusés « bénéficient de la présomption d'innocence ».