BELLINZONE : Sans prononcer un mot, l'ex-numéro 2 de la Fifa Jérôme Valcke et le patron de beIN Media et du PSG, Nasser Al-Khelaïfi, ont vu s'ouvrir lundi en Suisse leur procès dans une affaire de droits TV de deux Mondiaux de football, dans un climat empoisonné par les soupçons de collusion qui minent la justice helvétique.
Les deux dirigeants, qui encourent chacun cinq ans de prison, devraient s'exprimer mardi à partir de 10h30 (08H30 GMT) au Tribunal fédéral de Bellinzone. Mais ces débats, très attendus après cinq ans de scandales autour du football mondial, n'auront lieu que si les trois juges décident de poursuivre l'audience.
Car la défense a estimé lundi que la procédure était entièrement « souillée » par une autre affaire : la révélation de rencontres informelles entre l'ancien chef du parquet Michael Lauber et l'actuel patron de la Fifa Gianni Infantino, qui valent aux deux hommes une enquête pour « entrave à l'action pénale » et ont donné lieu à trois récusations.
Ces griefs « n'ont aucune influence sur la validité » des preuves examinées à Bellinzone, a répliqué Cristina Castellote, l'une des représentantes du parquet, pour qui la défense cherche à différer les débats pour « viser la prescription ».
Principal prévenu, le Français Jérôme Valcke, bras droit jusqu'en 2015 du président déchu de la Fifa Sepp Blatter, doit s'expliquer dans deux dossiers distincts de droits télévisés.
« Corruption » abandonnée
La justice lui reproche d'avoir favorisé la cession au géant qatari beIN Media des droits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord des Coupes du monde 2026 et 2030, en échange de « l'usage exclusif » d'une villa en Sardaigne, payée 5 millions d'euros par Nasser Al-Khelaïfi.
Longtemps menée pour « corruption privée », l'enquête a dû abandonner ce chef d'accusation en raison d'un « accord amiable » en janvier entre la Fifa et Al-Khelaïfi, qui a conduit l'instance à retirer sa plainte.
Le parquet a donc opté pour le terrain de la « gestion déloyale » : il reproche désormais à Valcke d'avoir « conservé pour lui » des avantages qui auraient dû revenir à la Fifa - quand bien même il s'agirait de pots-de-vin -, et à Al-Khelaïfi de l'y avoir « incité ».
Les deux hommes, qui encourent chacun cinq ans de prison, contestent ces charges, selon leur défense. En outre, les avocats de Nasser Al-Khelaïfi estiment que « la majeure partie du dossier ne concerne pas (leur) client ».
« L'accusation secondaire, très récemment conçue par l'accusation pour tenter de sauver son dossier, est manifestement artificielle », estiment Mes Grégoire Mangeat, Marc Bonnant et Fanny Margairaz, jugeant le procédé « à la limite de la déloyauté ».
Dans le deuxième dossier, Jérôme Valcke devra répondre de « corruption passive répétée », « gestion déloyale aggravée » et « faux dans les titres », tandis que l'homme d'affaires grec Dinos Deris, 63 ans, sera jugé en son absence.
Pression sur la justice suisse
Valcke aurait cette fois perçu 1,25 million d'euros, en trois versements depuis le Liechtenstein à sa société Sportunited, pour favoriser l'obtention des droits médias de plusieurs Coupes du monde en Grèce et en Italie.
Partie plaignante dans ces deux dossiers, la Fifa réclame « entre 1,4 et 2,3 millions d'euros » à Jérôme Valcke pour avoir profité pendant 18 mois de la « Villa Bianca », luxueuse bâtisse de la Côte d'Emeraude sarde. Elle demande par ailleurs 1,25 million d'euros à son ex-secrétaire général et à Dinos Deris.
Si l'audience va à son terme, il s'agira du premier jugement prononcé en Suisse, siège de la plupart des organisations sportives internationales, sur la vingtaine d'enquêtes ouvertes depuis cinq ans autour de la Fifa.
En avril, le Tribunal pénal fédéral avait été contraint de clore un procès entamé en mars sur des soupçons de corruption dans l'attribution du Mondial-2006 à l'Allemagne : d'abord repoussé en raison du Covid-19, ce dossier impliquant l'ancien « Kaiser » du foot Frank Beckenbauer a été rattrapé par la prescription.
Après ce « camouflet », l'audience de Bellinzone est « une occasion unique » de montrer que la justice suisse « sait se montrer aussi efficace » que celle des Etats-Unis, qui a déjà prononcé « 29 condamnations » dans les dossiers Fifa, a souligné Me Saverio Lembo, l'avocat de l'instance.