PARIS: Des dépenses en hausse mais justifiées par la nécessité d'investir pour l'avenir: le ministre de l'Economie Bruno Le Maire s'est évertué mercredi à convaincre de la "sincérité totale" des choix budgétaires du gouvernement pour 2022, sous le feu des critiques de l'opposition à sept mois de l'élection présidentielle.
"Il y a bien une sincérité totale de la part du gouvernement sur ses choix budgétaires", a martelé Bruno Le Maire, en présentant le projet de loi de finances pour 2022.
Une réponse directe aux attaques de l'opposition qui dénonce une accumulation de nouvelles dépenses dans ce dernier budget du quinquennat d'Emmanuel Macron et aux reproches du Haut conseil des finances publiques (HCFP), instance indépendante chargée d'en évaluer la crédibilité.
Ce dernier a notamment regretté que le texte présenté par le gouvernement soit incomplet et s'est dit incapable de donner un avis "pleinement éclairé" sur la prévision de déficit du gouvernement (4,8% du PIB en 2022). C'est la première fois depuis 2016, et le dernier budget du quinquennat de François Hollande, que le HCFP est aussi sévère avec un projet de loi de finances.
Manquent à l'appel des dépenses importantes comme le plan d'investissement, de l'ordre de 30 milliards d'euros sur plusieurs années, et le revenu d'engagement pour les jeunes, évalué par le ministère du Travail à 2 milliards d'euros par an.
L'exécutif prévoit de les dévoiler prochainement et de les intégrer au texte lors du débat parlementaire à venir. Non sans les avoir soumis au HCFP en amont, a confirmé Bruno Le Maire mercredi.
Les principales mesures du projet de budget 2022
PARIS: Budget de "relance et d'investissement", priorité au régalien: dans le projet de loi de finances pour 2022, le gouvernement table sur une croissance forte pour financer une hausse des dépenses tout en commençant à réduire le déficit public.
Une forte reprise économique
Le projet de budget repose sur une prévision de croissance de 6% pour 2021 et de 4% pour 2022, une des reprises économiques les plus fortes de la zone euro, après une des récessions les plus massives en Europe (-8% en 2020).
"La situation économique est meilleure que prévu", s'est réjoui mercredi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire qui préfère rester prudent et ne pas relever la prévision de croissance car "nous ne sommes jamais à l'abri soit d'un accident sanitaire soit d'un imprévu".
Réduction du déficit
La reprise va permettre au déficit public de se résorber un peu plus qu'anticipé. Selon les prévisions de Bercy, il devrait passer de 9,2% du PIB en 2020 à 8,4% cette année, puis 4,8% en 2022 (contre 5,3% attendu auparavant).
Conséquence: le ratio de dette publique par rapport au Produit intérieur brut (PIB) devrait lui aussi s'infléchir légèrement, à 116% en 2021, puis 114% en 2022.
Les missions régaliennes à l'honneur
Les dépenses des ministères actuellement prévues au budget de l'Etat devraient fortement progresser l'an prochain, avec 11,8 milliards d'euros de plus alloués, pour parvenir à 302,1 milliards. Ce sera même un peu plus, du fait des dépenses supplémentaires non encore prises en compte du plan d'investissement et de mesures pour l'emploi des jeunes.
Les ministères régaliens tirent leur épingle du jeu de la négociation budgétaire, avec +1,7 milliard d'euros pour les Armées, +1,4 milliard pour l'Intérieur et +700 millions pour la Justice.
L'Education est également bien dotée (+1,7 milliard, après +4,3 milliards en 2021), notamment pour financer les revalorisations des rémunérations des enseignants, tout comme la Recherche (+760 millions d'euros).
Dépenses et recettes
Le total des dépenses de l'Etat devrait s'élever à 495,1 milliards d'euros, dont 59,5 milliards de retraites des fonctionnaires, 48,9 milliards de transferts aux collectivités territoriales, 38,4 milliards de charge de la dette et 12,9 milliards pour le plan de relance.
Les recettes de l'Etat devraient atteindre 310,9 milliards d'euros, dont 97,5 milliards venus de la TVA et 82,4 milliards de l'impôt sur le revenu.
Baisses d'impôts
Le gouvernement maintient le calendrier des baisses d'impôts décidées avant la crise, mais ne souhaite prendre aucune nouvelle mesure fiscale.
Les 20% de ménages les plus aisés verront leur taxe d'habitation réduite l'an prochain, après une première étape en 2021. Déjà supprimée totalement pour 80% des ménages, elle le sera pour tous les contribuables en 2023.
De même, l'impôt sur les sociétés passera à 25% pour toutes les entreprises, dernière marche d'une réforme engagée en 2018, dans le but d'améliorer leur compétitivité.
Sur le quinquennat, les entreprises auront payé 25 milliards d'impôts en moins et les ménages en auront économisé autant, selon le gouvernement.
Le taux de prélèvements obligatoires devrait baisser l'an prochain à 43,5% du produit intérieur brut (PIB), au plus bas depuis 2011, alors qu'il était de 45,1% en 2017.
Mesures d'urgence
La mission "plan d'urgence" créée au début de la crise pour financer le soutien aux entreprises et aux ménages est prolongée, mais sera dotée seulement de 200 millions d'euros pour l'achat de masques.
Au total, 80 milliards d'euros de 2020 à 2022 ont été mobilisés dans ces mesures d'urgence (fonds de solidarité, chômage partiel, etc.).
Le gouvernement a aussi provisionné 2,7 milliards d'euros pour d'éventuels défauts de remboursements de prêts garantis par l'Etat, sur 140 milliards d'euros de crédits alloués par les banques.
La prise en charge des coûts fixes pour les entreprises qui continueront à être en difficulté à cause de la crise sanitaire devrait coûter quelque 150 millions d'euros par mois.
Amortissement de la dette Covid
Comment rembourser la "dette Covid"? Après deux ans de creusement lié à l'ouverture des vannes budgétaires face au virus, le gouvernement s'engage à amortir sur vingt ans la dette de l'Etat liée à la crise, estimée à 165 milliards d'euros, jusqu'en 2042.
Il va nouer un contrat avec la Caisse de la dette publique prévoyant d'affecter chaque année environ 6% du surplus de recettes dégagées en comparaison avec l'année 2020. En 2022, le gouvernement y consacrera 1,9 milliard d'euros.
"La dette sera remboursée par les fruits de la croissance", détaille Bercy, excluant des hausses d'impôts. La dette sociale, de 65 milliards d'euros, a déjà fait l'objet d'un vote au Parlement quant à son amortissement.
«Stabilité» du nombre de fonctionnaires
Pour 2022, le gouvernement prévoit 509 fonctionnaires d'Etat en moins, portant à 1 249 la baisse pour l'ensemble du quinquennat, très loin de la réduction d'effectifs de 50.000 agents de l'Etat sur 120 000 agents publics au total préconisée par Emmanuel Macron dans son programme électoral en 2017.
"Nous avons dû répondre à un certain nombre de besoins et faire face à des crises", a justifié le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt. "A l'échelle du quinquennat, notre objectif est donc la stabilité des emplois de l'Etat".
Deux inconnues
Fait inédit, l'exécutif n'a pas encore arbitré deux mesures phares attendues: le plan d'investissement et le revenu d'engagement.
Le premier, qui devrait être de l'ordre de 30 milliards d'euros, vise à investir dans des filières d'avenir et innovantes, comme l'hydrogène, les biotechnologies, les batteries électriques ou les semi-conducteurs. Emmanuel Macron devait le dévoiler initialement début septembre, mais sa présentation a été reportée à la mi-octobre.
La deuxième mesure est le revenu d'engagement pour les jeunes, dernière grande réforme sociale du quinquennat. Il vise à accompagner ceux qui n'ont ni emploi, ni formation, et qui en échange d'un engagement recevront un revenu, sans doute autour de 500 euros. Coût estimé: 2 milliards d'euros par an, selon le ministère du Travail.
«Président candidat»
Le dernier budget d'un quinquennat n'est jamais le plus ambitieux sur la maîtrise des dépenses et celui-ci ne fait pas exception, avec un gonflement de 12 milliards d'euros (hors plan d'investissement et revenu d'engagement) de l'enveloppe allouée aux ministères.
Les annonces récentes de plans (Beauvau de la sécurité, soutien à Marseille) et coups de pouces en tous genres (MaPrimeRenov, transports publics, etc.) ont suscité la colère des oppositions.
"Il ne faut pas que cette crise soit l'occasion pour la France d’augmenter durablement les dépenses publiques ordinaires", a commenté Eric Woerth, le président LR de la commission des Finances à l'Assemblée nationale.
Xavier Bertrand a lui dénoncé "une fuite en avant vers la dette", dans une tribune mercredi aux Echos.
"Ce n'est pas le dernier budget du quinquennat, c'est le budget d'un président de la République candidat à sa réélection", a critiqué la député socialiste Christine Pires Beaune.
Ces dépenses sont pour la plupart déjà intégrées aux augmentations prévues au budget ou financées par des "redéploiements" du plan de relance, avait déjà précisé Bruno Le Maire, raillant "le n'importe quoi budgétaire de nos opposants, qui ne cessent de multiplier les propositions toutes plus farfelues les unes que les autres, sans le moindre euro de financement".
A gauche, le député LFI Alexis Corbière a déploré un budget qui "dépense à la fois insuffisamment et mal", pointant des baisses d'impôts qui ont "surtout bénéficié aux plus riches". Il n'y a "pas d'impôt de solidarité, même temporaire après la crise", a regretté le communiste Jean-Paul Dufrègne.
Budget 2022 : l'Education nationale voit son budget augmenter
PARIS: L’éducation nationale, premier poste du budget de l’État (56,5 milliards d'euros), va bénéficier en 2022 d'une rallonge de 1,7 milliard d'euros avec un coup de pouce donné aux salaires.
Cette hausse de moyens intègre une enveloppe de 700 millions d'euros dédiée à la "revalorisation de l'ensemble des personnels", notamment pour améliorer l'attractivité des débuts et milieux de carrières alors que les enseignants français figurent parmi les moins bien payés des pays de l'OCDE.
Dans le détail, 100 des 700 millions d'euros permettront la montée en puissance des mesures déjà décidées. Il y aura également 400 millions pour mettre en œuvre les nouveaux engagements et 200 millions d'euros pour l'action sociale, avait détaillé le ministère fin mai lors des conclusions du Grenelle de l'éducation.
L'enveloppe permet pour 2022 "une augmentation allant de 57 euros net mensuels pour les néo-titulaires ayant une à deux années d'ancienneté à 29 euros net par mois pour les enseignants ayant de 14 à 22 années de carrière", avaient précisé plusieurs syndicats.
La revalorisation bénéficie aux professeurs du primaire comme du secondaire (collèges et lycées).
Le gouvernement rappelle qu'"entre 2017 et 2022, l'effort budgétaire en faveur de l'enseignement scolaire aura augmenté de près de 6 milliards d'euros (+12%)".
Il a permis "notamment de financer le dédoublement des classes en grande section (de maternelle), CP, CE1 en éducation prioritaire et la limitation à 24 du nombre d'élèves en CP, CE1 et grandes sections de maternelle mais aussi le renforcement de l'accompagnement du handicap dont les moyens humains auront plus que doublé depuis 2017", ajoute-t-il.
Le plafonnement à 24 élèves par classe en grande section de maternelle, CP et CE1 sera achevé en 2022, tandis que se poursuivra le dédoublement des classes de grande section en REP et REP+.
Le budget 2022 vante également de "nouveaux moyens en vue d'améliorer les conditions de travail des directeurs d'école", sans plus de précisions.
En matière d'emplois, le budget prévoit pour 2022 une légère progression, avec la création de 50 emplois administratifs, tandis que les emplois en équivalent temps plein seront stables à l'école primaire et dans le deuxième degré publics et privés.
Dans le détail, 300 postes de CPE (conseillers principaux d'éducation) et 50 postes d'assistants de service social ou d'infirmiers seront créés dans le second degré, tandis que l'on comptera 350 postes d'enseignants en moins dans le secondaire.
L'Enseignement supérieur et la recherche voient également leur plafond de dépenses augmenter de 800 millions d'euros, dont une hausse de 700 millions d'euros du budget du ministère.
Cette hausse bénéficie principalement à la mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche (+500 millions d'euros), s'appuyant notamment sur une revalorisation de 92 millions d'euros à destination des personnels de recherche.
Le budget dédié à la recherche avait connu une première hausse de 400 millions en 2021, première étape de la mise en oeuvre de la Loi de programmation de la recherche (LPR) qui prévoit un investissement progressif de 25 milliards d'euros jusqu'en 2030.
Les emplois de l’État et de ses opérateurs dans la recherche et l'enseignement supérieur sont en hausse, avec une augmentation de 650 emplois ETPT (équivalent temps plein travaillé), sous l'effet de la LPR.
Priorité au régalien
Ce budget "nous permet de tenir les engagements du président de la République", a pour sa part affirmé Olivier Dussopt, ministre des Comptes publics, avec les augmentations de moyens alloués aux missions régaliennes - Intérieur, Justice, Armées - ainsi qu'à l'Education et à la recherche.
Les dépenses prévues pour 2022 illustrent le choix d'un budget "de relance et d'investissement" pour soutenir la croissance économique en sortie de crise, a renchéri M. Le Maire.
"La croissance est là, elle est puissante" et "c'est le moment d'investir, de préparer la France au succès économique des 15 à 20 prochaines années", a-t-il ajouté.
Bercy promet tout de même de consacrer à la réduction du déficit une partie des meilleures recettes attendues grâce à une croissance dynamique cette année (+6%, puis +4% en 2022 selon le gouvernement), et la quasi-totalité des huit milliards d'euros de crédits d'urgence non consommés cette année. A défaut de mesures d'économies, reportées à plus tard.
Le déficit public devrait ainsi être ramené de 8,4% du PIB cette année à 4,8% l'an prochain, pour une dette qui atteindrait encore un niveau record de 114% du PIB en 2022, après 116% en 2021.