TRIPOLI: Le Parlement libyen a voté mardi une motion de censure contre le gouvernement de transition du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, aggravant les différends entre camps rivaux à trois mois d'élections censées mettre fin à une décennie de chaos.
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est en proie à des violences et à des luttes entre pouvoirs rivaux dans l'est et l'ouest du pays.
Moins de deux semaines après la ratification d'une loi électorale controversée favorisant l'homme fort de l'Est, Khalifa Haftar, au grand dam des autorités de Tripoli (ouest), la motion de censure a été votée par 89 députés sur les 113 présents, a annoncé le porte-parole du Parlement, Abdallah Bliheq.
Après l'embellie du début d'année et l'avènement d'un nouveau gouvernement d'union, la Libye replonge ainsi dans l'incertitude, rendant les élections législatives et présidentielles prévues le 24 décembre plus que jamais hypothétiques.
Le vote a eu lieu au cours d'une séance à huis clos en présence du président du Parlement Aguila Saleh, un cacique de l'Est libyen et allié de poids du maréchal Haftar.
La veille, le Parlement avait annoncé la mise en place d'une commission d'enquête pour questionner le gouvernement, notamment sur des accords qu'il a passés, ses dépenses et des nominations auxquelles il a procédé.
Le Haut Conseil d'Etat libyen (HCE), instance faisant office de Sénat basée à Tripoli, a souligné son « rejet de la procédure » de censure, jugeant cette démarche comme « nulle » et « en violation de la Déclaration constitutionnelle et de l'accord politique » de 2015.
« La boussole sur laquelle s'appuie le Haut Conseil d'Etat est celle des élections. Notre objectif, c'est la tenue de ces élections. Nous ne souhaitons pas donner autant d’importance à tout ce qui peut entraver cet objectif », a déclaré le président du HCE, Khaled el-Mechri, en visite à Rabat.
« Ce gouvernement va continuer à travailler jusqu'au 24 décembre et nous devons assurer les conditions favorables à la tenue des élections », a-t-il insisté.
« Expédier les affaires courantes »
Le quorum requis pour le vote d'une motion de censure ou de confiance est de 120 députés, selon la loi sur le règlement intérieur du Parlement de 2014, a indiqué une source parlementaire.
Le cabinet actuel ne sera pas remplacé mais devient un « gouvernement chargé d'expédier les affaires courantes », selon le porte-parole du Parlement.
Le chercheur de Libya Outlook, Mohamed Eljarh, a estimé sur Twitter que le vote du Parlement constituait « une escalade majeure » susceptible de « renforcer la confusion et l'incertitude » au moment où le pays se trouve à « un tournant critique ».
#Breaking - The HoR voted to withdraw confidence from the GNU with 89 votes in favor out of 113 present. This is a major escalation on the part of the HoR at this critical juncture and will add to the confusion and uncertainty. #Libya
— Mohamed Eljarh (@Eljarh) September 21, 2021
Après la fin des combats entre camps rivaux à l'été 2020, un gouvernement unifié et transitoire dirigé par M. Dbeibah, un homme d'affaires, a été formé en mars pour mener la transition d'ici le double scrutin prévu en décembre.
La formation de ce nouveau cabinet au terme d'un processus politique parrainé par l'ONU avait offert une lueur d'espoir alors qu'aucune issue ne semblait en vue.
Surmontant les années de guerre, le gouvernement d'Abdelhamid Dbeibah avait obtenu en mars un vote de confiance qualifié d'« historique » au Parlement, et a pu prendre ses fonctions sans heurts dans la capitale Tripoli.
Au côté d'un Conseil présidentiel de trois membres, il avait été chargé d'unifier les institutions, de sortir le pays d'un conflit internationalisé et de mener à bien la transition.
Mais depuis, le Parlement n'a jamais organisé de vote sur le budget du gouvernement Dbeibah, tandis que les divisions ont rapidement refait surface.
Dernier épisode en date, la ratification le 9 septembre d'une loi électorale manifestement taillée sur mesure pour Khalifa Haftar.
Signé par le chef du Parlement sans être soumis à un vote, le texte a été accueilli par un déluge de critiques de députés et d'autres instances écartées du processus législatif.
L'article qui concentre les critiques dans la loi électorale stipule qu'un militaire peut se présenter à la présidentielle, à condition d'abandonner « ses fonctions trois mois avant le scrutin. » Et, « s'il n'est pas élu, il pourra retrouver son poste et recevoir ses arriérés de salaire », précise le texte.