PARIS : "Nevermind" fête ses 30 ans et la question de l'héritage de Nirvana est posée: Dave Grohl, ex-batteur du groupe aujourd'hui leader des Foo Fighters, souffle toujours sur les braises mais désigne surtout Billie Eilish comme porteuse du flambeau.
Le deuxième album de la formation phare du grunge a semé des graines bien au-delà des groupes à guitares. Le rappeur Travis Scott, souvent vu avec un t-shirt de Nirvana, confie dans l'émission française Clique que Kurt Cobain "aurait pu être un artiste hip-hop" pour son discours anti-conformiste et ses compositions disruptives (il injectait de la pop dans ses fracas électriques).
On peut citer d'autres rappeurs américains. Post Malone a repris du Nirvana habillé en robe à fleurs, tandis que Kid Cudi s'est produit sur le plateau du Saturday Night Live dans la même tenue. Clin d'œil à Cobain, apparu vêtu de la sorte en Une du magazine The Face pour distiller ses messages anti-virilistes.
Mais Dave Grohl établit un autre arbre généalogique dans un échange avec Michael Rapino, boss de Live Nation (structure mondiale de concerts et festivals) au cours d'une conférence en février 2019 organisée par Pollstar, média spécialiste du live.
«Pas dans une case»
La question sur les héritiers de Nirvana survient. Grohl ne se défile pas. "Mes filles sont obsédées par Billie Eilish. La connexion qu'elle a avec son public est la même que Nirvana en 1991". Non, évidemment, Grohl ne parle pas de la forme. Eilish ne s'exprime pas sur fond de guitares rageuses. Mais le propos est le même que chez Cobain (suicidé en 1994) et la jeune chanteuse s'adresse à tous ceux qui ne s'y retrouvent pas dans une société trop calibrée.
"Grohl a raison pour Eilish qui est anti-conformiste, ne rentre pas dans une case", dissèque Charlotte Blum, autrice du livre "Grunge, jeunesse éternelle" prévu le 29 septembre (Epa).
"Billie Eilish parle à la jeune génération, répond à ses problématiques: dans une ère où les femmes dans la musique ont été très sexualisées, elle est arrivée avec un look singulier, des mèches vertes, des vêtements amples", acquiesce Benjamin Manaut, chef de projets chez Polydor/Universal.
Il évoque le look néo-gothique du temps du premier album "When We Fall Asleep, Where Do We Go?" (2019). Mais la jeune femme (19 ans) refuse de se laisser étiqueter et brouille aujourd'hui les pistes en arrivant en Marilyn Monroe version 2020 sur le tapis rouge d'un gala new-yorkais.
Il ne faut pas y voir une concession mercantile. Juste une liberté assumée: être autant de personnages qu'elle veut, comme David Bowie pouvait endosser les oripeaux d'Alladin Sane ou du Thin White Duke, ses doubles.
ADN pop
Nirvana s'amusait aussi à s'éloigner du combo jeans déchirés-t-shirt délavés. En 1994, deux mois avant la mort de Cobain, le groupe passe en live sur Canal+ en costumes stricts. Et Grohl, devenu leader/chanteur/guitariste des Foo Fighters, apparaît en 2011 en costume-cravate, comme tout son groupe, pour dérouler son rock abrasif au "Live on Letterman", grand show américain.
Habillé comme les Beatles à la grande époque, Grohl assume cet ADN pop déjà présent dans Nirvana.
"+About A Girl+ était une chanson des Beatles. C'était clair que le pote (Cobain) pouvait écrire des chansons", lâche-t-il à Michael Rapino.
Cobain a toujours refusé d'être enfermé dans la peau d'un porte-étendard punk et maudit. Nirvana n'a pas hésité une seconde à quitter un label indépendant (Sub Pop) pour signer sur une major (Geffen) au moment de "Nevermind".
A l'époque, le trio espère juste pouvoir éviter les fins de mois difficiles au moment de payer le loyer. Mais, contre toute attente, ils détrôneront le "Dangerous" de Michael Jackson au sommets des charts, ce qu'ils digéreront plus ou moins facilement.
Là encore, le parallèle avec Eilish revient. Le 2e album de la jeune artiste sorti cet été, "Happier Than Ever" ("Plus Heureuse Que Jamais", qui sonne assez ironiquement), traite principalement du poids du succès et d'une notoriété encombrante. Comme "In Utero" (1993) de Nirvana, traversé par les questionnements du groupe après le tsunami "Nevermind".