NATIONS UNIES/ BRUXELLES:
La crise diplomatique sans précédent entre les Etats-Unis et la France s'est invitée lundi dans les couloirs de l'Assemblée générale annuelle de l'ONU, même si Joe Biden a semblé vouloir jouer l'apaisement en rouvrant les frontières avec l'Europe.
Le président américain arrive lundi à New York, décidé à mettre l'accent sur la lutte contre la Covid-19 et le réchauffement climatique, ou sur la confrontation avec la Chine, avec laquelle, selon ses conseillers, il ne « croit pas à la notion d'une nouvelle Guerre froide ».
Mais son message est brouillé depuis son annonce, le 15 septembre, d'un pacte de sécurité conclu avec l'Australie et le Royaume-Uni pour contrer Pékin, surnommé AUKUS. Ce nouveau partenariat a mis le feu aux poudres transatlantiques, car il s'est fait dans le dos des Français, qui ont perdu au passage un énorme contrat de sous-marins commandés par Canberra.
Comme un résumé des priorités diplomatiques du président américain, il n'a prévu de rencontrer mardi, en marge de la réunion onusienne, que le Premier ministre australien Scott Morrison, avant de recevoir le chef du gouvernement britannique Boris Johnson à son retour à la Maison Blanche.
Joe Biden est aussi « impatient » de parler « de la voie à suivre » au téléphone avec son homologue français Emmanuel Macron, qui a lui renoncé à se rendre à New York, a déclaré un haut responsable américain, confirmant que le dirigeant démocrate avait demandé un tel entretien.
« Nous comprenons la position française » même si « nous ne la partageons pas », a-t-il ajouté.
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken va lui aussi rencontrer en marge de l'Assemblée générale la nouvelle ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss. Mais aucun tête-à-tête n'est pour l'instant annoncé avec son homologue français Jean-Yves Le Drian.
« Inacceptable »
« L'agenda va évoluer », s'est bornée à dire lundi une responsable du département d'Etat américain, Erica Barks-Ruggles, assurant que le gouvernement Biden jugeait « très important de travailler ensemble sur de nombreux sujets mondiaux ».
Semblant vouloir déminer le terrain à l'orée d'une semaine d'entretiens tous azimuts à New York, la Maison Blanche a annoncé lundi matin la réouverture de ses frontières aux voyageurs vaccinés contre la Covid-19 -- une demande récurrente des alliés européens.
Si la décision a été prise sur des bases sanitaires, la solution trouvée est aussi le fruit de la diplomatie, a glissé un haut responsable américain, laissant entendre que le timing n'était pas sans lien avec la crise transatlantique. Antony Blinken a d'ailleurs évoqué cette question chère aux Français dans un entretien vendredi avec l'ambassadeur de France à Washington Philippe Etienne.
Londres et Washington avaient déjà tenté pendant le week-end d'amadouer leur allié français.
« Notre amour de la France est inébranlable », a déclaré le Britannique Boris Johnson dans l'avion qui l'emmenait à New York.
Pas sûr que ces mots doux suffisent à calmer l'ire du chef de la diplomatie française qui a qualifié Londres de »cinquième roue du carrosse ».
Paris ne semble pas près de décolérer. Le gouvernement français a rappelé ses ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie dans un geste inédit, en dénonçant un « coup dans le dos », un « mensonge » et une « rupture majeure de confiance ».
Il a reçu lundi le soutien de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et du président du Conseil européen Charles Michel.
Mme von der Leyen a jugé « inacceptable » la manière dont la France a été « traitée ». Charles Michel a dénoncé « le manque de loyauté » des Etats-Unis et plaidé pour un renforcement de la « capacité d'action » de l'UE sur la scène internationale.
Il s'agit d'un « coup de tonnerre » au niveau mondial, a estimé pour sa part la ministre belge des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, en appelant l'Europe à être « plus vocale » dans la relation transatlantique.
Plutôt silencieux jusqu'ici, les ministres des Affaires étrangères des pays de l'Union européenne examineront lundi soir en marge de l'Assemblée de l'ONU les conséquences du nouveau partenariat stratégique américano-britannico-australien dans la région Indo-Pacifique.
« Sidération »
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell devrait « rendre compte » de cette réunion « par une déclaration », a annoncé un porte-parole de la Commission européenne.
Selon une source diplomatique européenne, la France n'entend cependant pas demander à cette occasion « un positionnement commun » de l'UE.
Les Vingt-Sept avaient déjà prévu de parler, lors de cette rencontre traditionnelle à New York, du retrait chaotique d'Afghanistan imposé par Joe Biden, qui a aussi suscité plusieurs grincements de dents sur le Vieux Continent.
« Beaucoup de pays européens nous ont fait part de leur sidération », a assuré Jean-Yves Le Drian dans le journal français Ouest France. « Il ne s'agit pas seulement d'une affaire franco-australienne mais d'une rupture de confiance dans les alliances, avec nos alliés, et aussi du positionnement de chacun concernant la stratégie Indo-Pacifique », a-t-il déploré.
Les Français veulent que l'affaire pèse dans la redéfinition en cours du concept stratégique de l'Otan, mais aussi dans une forme d'autonomie stratégique dont elle voudrait doter l'UE.