La semaine dernière, Jakub Kulhanek, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, a effectué sa première visite officielle en Arabie saoudite pour s'entretenir avec le ministre des Affaires étrangères, le prince Faiçal ben Farhane, et le ministre d'État aux Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir.
Dans une interview exclusive avec Arab News, Kulhanek a évoqué les discussions que les deux parties ont eues sur les relations bilatérales et les moyens de les renforcer, ainsi que sur les questions régionales et internationales, l'Afghanistan notamment.
« Ma visite officielle en Arabie saoudite n'a duré qu'une trentaine d'heures, et la seule ville que j'ai visitée était Riyad », a-t-il déclaré à Arab News. « Pour moi, il y a une obligation de revenir dans le futur et de profiter de la visite de Djeddah, de la mégapole futuriste de NEOM et d'autres lieux d'intérêt célèbres. »
Q. Comment décririez-vous vos rencontres avec des responsables saoudiens au cours de votre visite qui vient de s'achever ?
R. Tout d'abord, je voudrais remercier le gouvernement saoudien et tous mes homologues que j'ai eu le privilège de rencontrer pour leur générosité et le temps qu'ils ont consacré à la préparation de notre visite. Ils ont mis en place un programme formidable. Nous avons eu des rencontres enrichissantes et je suis convaincu qu'ensemble nous avons réussi à élever les relations entre nos pays à un niveau supérieur.
Lors de ma rencontre avec le ministre des Affaires étrangères, le prince Faiçal ben Farhane, nous nous sommes confortés dans le fait que nos relations sont amicales et que la réputation générale de nos pays est complémentaire à bien des égards. Nous avons beaucoup à échanger dans les domaines du commerce, de la coopération scientifique, du secteur de l'énergie, des mines et de la sécurité.
Le Royaume, avec les Émirats arabes unis, fait partie de nos cinq principaux partenaires commerciaux au Moyen-Orient. C'est quelque chose sur lequel nous pouvons bâtir, quelque chose que nous avons l’obligation de développer. Et c'est aussi la raison pour laquelle j'étais en compagnie d'une mission commerciale de plus de 20 éminentes personnes du monde des affaires venant de divers domaines industriels.
Dans le même temps, notre coopération ne se limite pas seulement aux affaires. Nous avons une longue tradition de coopération dans le secteur de la santé. De nombreux Saoudiens étudient dans les universités tchèques. Les citoyens saoudiens sont des voyageurs fréquents lorsqu'il s'agit de nos stations thermales.
Avec le prince Fayçal, nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité de redynamiser la Commission mixte tchéco-saoudienne, qui ne s'est pas réunie depuis 2011. C'est une plate-forme utile réunissant des représentants de ministères engagés pour discuter de questions spécifiques d'intérêt mutuel.
Q. Avez-vous discuté de la coopération politique avec l'Arabie saoudite sur les questions régionales et les questions de développement ?
R. Il va sans dire que visiter le Royaume et rencontrer ses dirigeants m'a donné une chance unique de discuter de questions de politique internationale et de problématiques mondiales. Nous avons convenu, à la fois avec le ministre des Affaires étrangères, le prince Faiçal, et le ministre d'État aux Affaires étrangères Adel al-Jubeir, mon ancien collègue de Georgetown, que nous voulions officialiser des consultations régulières entre nos ministères des Affaires étrangères. Nous espérons établir un partenariat stratégique dans un avenir proche.
Nous avons également partagé avec nos hôtes saoudiens la nécessité d'intensifier les contacts au plus haut niveau politique. J'espère que le ministre des Affaires étrangères viendra dans un proche avenir pour une visite en République tchèque. J'étais également heureux de pouvoir inviter le prince héritier Mohammed ben Salmane à visiter la République tchèque.
Q. Quels types de flux d'investissements croisés envisagez-vous entre le Royaume d'Arabie saoudite et la République tchèque ?
R. Merci beaucoup pour cette question, car je crois vraiment qu'il existe un grand potentiel pour de plus gros investissements saoudiens. Au cours des 30 dernières années, la République tchèque a attiré de nombreux investisseurs étrangers, à la fois en portefeuilles et en investissements verts étrangers directs, provenant d'Europe, des États-Unis et d'Asie.
Jusqu'à présent, les investisseurs du Golfe ont été légèrement à la traîne, même si nous constatons déjà que certains d'entre eux commencent à découvrir l’existence d’opportunités d'investissement en Europe centrale. C'est pourquoi nous projetons d'organiser un forum d'investissement pour les représentants des fonds souverains de la région du Golfe, au cours duquel ils auront la chance de rencontrer les dirigeants des plus grands groupes financiers tchèques.
Le Forum d'investissement tchèque-CCG se tiendra du 30 mai au 4 juin 2022, côte à côte avec la présidence de la République tchèque au Conseil de l'UE, au second semestre 2022.
J'invite les gestionnaires du Fonds d'investissement public et d'autres groupes financiers importants du Royaume à participer à l'événement.
Q. Voyez-vous un plus grand rôle pour les entreprises technologiques tchèques dans les projets de développement en cours du Royaume dans le cadre de la Vision 2030 ? De quels secteurs s'agirait-il principalement et quel impact auraient-ils ?
R. À mon avis, l'ambitieuse Vision 2030, ses objectifs et les projets sur lesquels elle s'appuie, offrent aux entreprises tchèques de nombreuses opportunités, principalement concernant des accords de base de sous-traitance. Nous sommes réellement intéressés à faciliter l'accès des entreprises tchèques aux appels d'offres lancés par les entreprises publiques saoudiennes. Nous voyons un grand potentiel dans la transmission de savoir-faire, de technologies et de produits de haute technologie tchèques aux mégaprojets du gouvernement, qu'il s'agisse de NEOM, « Red Sea Resort » ou de l'initiative « Green Riyadh ».
Nous sommes convaincus que les entreprises saoudiennes, telles que Saudi Aramco, SABIC et bien d'autres, en bénéficieraient également.
Q. Avant votre départ pour le Golfe, vous avez dit que la République tchèque ne reconnaîtrait pas les talibans. Pouvez-vous s’il vous plait développer votre déclaration ?
R. Je pense qu'il faut bien faire la séparation entre deux choses distinctes. La première est la communication avec les talibans, qui sont sans aucun doute les nouveaux dirigeants du pays. Il est clair que l'UE et l'OTAN n'éviteront pas d'interagir avec eux uniquement pour que nous puissions fournir au peuple afghan l'aide humanitaire dont il a cruellement besoin actuellement.
Je ne parle pas de contacts officiels et de haut niveau, mais une communication au niveau opérationnel devra avoir lieu. La reconnaissance officielle du gouvernement taliban est une autre affaire ; une grande prudence s'impose ici. Je pense que les talibans sont loin d'avoir tenu leurs promesses. Les médias nous informent de leur comportement dans les rues des villes afghanes et des atrocités qui sont commises.
Q. Vous avez également déclaré que votre pays accepterait la triste réalité « telle qu'elle est », que les talibans sont « les nouveaux maîtres de l'Afghanistan ». Pouvez-vous traiter avec les talibans sans leur accorder implicitement une reconnaissance ?
R. L'UE et l'OTAN doivent être pragmatiques et accepter la nouvelle réalité afghane. Néanmoins, cela ne signifie pas que nous renoncerons à nos efforts pour faire pression sur les talibans pour qu'ils maintiennent au moins une partie de ce qui a été réalisé en Afghanistan au cours des 20 dernières années.
Je parle maintenant, en particulier, des droits des femmes et des filles. Alors oui, la communauté internationale peut négocier avec les talibans là-dessus et, selon le résultat, peut-être que la question de la reconnaissance officielle du gouvernement taliban deviendrait d'actualité à l'avenir.
Q. Quelle est selon vous l'influence de l'UE sur les talibans ? Les positions de la République tchèque et de l'UE sont-elles totalement convergentes ?
A. La position de la République tchèque est pleinement conforme à la politique de l'UE. Comme vous le savez, tout récemment, les ministres des Affaires étrangères de l'UE ont convenu lors de leur réunion informelle en Slovénie que tout engagement substantiel avec les talibans n'est possible que si certaines conditions sont remplies : le respect des droits de l’homme, en particulier les droits des femmes, et la mise en place d'un gouvernement représentatif inclusif, figurent parmi ces conditions.
Je ne suis pas convaincu que les talibans iront à leur rencontre de si tôt. Nous comprenons la nécessité de maintenir la présence de l'UE à Kaboul mais la République tchèque a dû évacuer nos diplomates et nos facilitateurs afghans.
La communication avec les talibans est nécessaire, car nous devons essayer d'influencer la façon dont ils gouverneront le pays, au moins pour éviter les crises humanitaires et migratoires. Les talibans chercheront à obtenir une reconnaissance et des ressources internationales – c'est notre principal levier maintenant.
Q. Les organisations internationales ayant des bureaux en Afghanistan ont à plusieurs reprises mis en garde contre une catastrophe humanitaire imminente. Il y a une augmentation de la faim, peu d'argent et très peu de soins de santé. Comment la communauté internationale peut-elle aider les Afghans ?
R. Nous sommes conscients de la détérioration de la situation humanitaire en Afghanistan. Une conférence internationale des donateurs s'est tenue à Genève lundi dernier sous les auspices de l'ONU. La communauté internationale, y compris la République tchèque, s'est engagée à poursuivre l'aide humanitaire. La République tchèque s'est déclarée prête à accroître sa contribution aux projets humanitaires et de développement en Afghanistan et dans les pays voisins.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com