Les Saoudiens cherchent à atténuer l’impact du traumatisme à travers l’art-thérapie

L’art-thérapie : des images à la place des mots (photo fournie)
L’art-thérapie : des images à la place des mots (photo fournie)
Short Url
Publié le Lundi 24 mai 2021

Les Saoudiens cherchent à atténuer l’impact du traumatisme à travers l’art-thérapie

  • Concept relativement nouveau en Arabie saoudite, l’art-thérapie offre un moyen unique de guérir d’un traumatisme
  • Après une seule séance avec ma thérapeute, j’ai ressenti la même joie que celle que j’éprouve normalement lorsque j’écris. Elle a utilisé les bons mots, me rappelant des choses que j’avais oubliées

DJEDDAH : Les gens se tournent de plus en plus vers l’art pour surmonter leurs traumatismes.

L’art-thérapeute Noorah Kareem, âgée de 31 ans, a parlé à Arab News non seulement de l’importance de l’art-thérapie, mais aussi des façons intéressantes et inattendues dont elle agit sur le processus de pensée d’une personne.

« Une thérapie standard peut soit submerger une personne, soit lui donner l’impression que peu de choses ont changé. L’art-thérapie, de son côté, leur permet de prendre la porte dérobée, si l’on peut dire. Elle permet de faire se reposer le cerveau conscient et de puiser dans le subconscient », explique Kareem.

Farah Abdelhadi, auteure, 28 ans, cliente de Kareem, confirme ce processus à travers sa propre expérience de la thérapie. Elle avait peu de connaissances sur l’art avant d’être suivie, mais elle était submergée par de nombreux problèmes personnels et se trouvait également confrontée à une panne d’inspiration.

« J’écris depuis l’âge de 8 ans, mais à un moment donné, je ne pouvais plus écrire », raconte Abdelhadi.

« Après une seule séance avec ma thérapeute, j’ai ressenti la même joie que celle que j’éprouve normalement lorsque j’écris. Elle a utilisé les bons mots, me rappelant des choses que j’avais oubliées. »

Pour Kareem, l’art-thérapie fonctionne à peu près de la même manière que la thérapie standard. Cependant, au lieu d’utiliser les mots, on utilise le langage des images.

Des études montrent que les gens conservent les événements dans leur esprit sous forme d’images et y attachent des émotions et des noms.

« Quand quelque chose se produit, cela peut être vécu différemment selon les personnes, même si l’image est la même », dit-elle.

« Le moyen le plus rapide d’aborder le traumatisme est de trouver l’image et de voir ce que nous y avons associé. »

Lorsqu’elle y repense, Abdelhadi trouve que son unique séance lui a été plus utile que ses stages de coaching de vie.

« Même si mon coach a été à l’écoute et s’est avéré un très bon conseiller, je pense que cette thérapie m’a aidée davantage parce que c’est une nouvelle forme d’expression, et le fait d’être pris dans cette expérience est incroyable », ajoute-t-elle.

« Elle m’a simplement donné un morceau de papier et m’a demandé de dessiner certaines choses et d’attribuer des couleurs aux sentiments. Pendant cette séance, j’ai commencé à parler et même à pleurer. »

Alaa al-Hajji, une autre art-thérapeute, était une artiste passionnée qui aimait aussi beaucoup la science. À l’université, Al-Hajji a été ravie de découvrir qu’il existait une forme de thérapie qui « combinait les deux domaines ».

« Le processus de thérapie est très réglementé. Le thérapeute ne donnera aucun matériel artistique à son patient tant qu’il n’aura pas compris qui il est, car le matériel fourni peut souvent être déclencheur. Il ne serait pas sain de remettre le matériel directement sans évaluer d’abord le patient, explique-t-elle à Arab News. Lorsque je propose un exercice artistique, c’est pour que le patient puisse explorer ses problèmes et ses traumatismes en toute sécurité. »

Selon Al-Hajji, l’art-thérapie n’est pas très connue en Arabie saoudite. Il n’y a pas beaucoup de cliniques qui offrent ce type de thérapie, et beaucoup de gens sont souvent perplexes lorsqu’elle explique son activité. Elle reconnaît cependant que les Saoudiens sont ouverts à l’idée de guérison par l’art.

« Les gens ici aiment l’art, et cette forme de thérapie peut aider à lutter contre la stigmatisation entourant la thérapie en général. Au départ, je dis à mes clients que ce n’est pas une thérapie mais plutôt de l’art. Ensuite, quand ils sont plus à l’aise, nous commençons le processus de guérison. »

Les thérapeutes conviennent toutes les deux que les gens ont généralement répondu favorablement à cette forme de thérapie. Al-Hajji raconte que la réponse qu’elle obtient souvent est : « Je ne suis pas un enfant, pourquoi me tendez-vous un papier pour dessiner ? » Elle conclut : « À part cela, dit-elle, l’idée est très appréciée ! »


Un artiste français crée de riches représentations de l'histoire et de la culture saoudiennes

Dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)
Dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)
Short Url
  • Après avoir exploré Riyad, Alkhobar et AlUla, Alessandra a été séduit par le charme d'Al-Balad, la vieille ville de Jeddah
  • Évoquant sa récente visite au Royaume, M. Alessandra a déclaré qu'il était impressionné par la scène culturelle florissante de l'Arabie saoudite et par l'enthousiasme de la jeunesse pour l'expression artistique

JEDDAH : Le célèbre dessinateur français de bandes dessinées, Joël Alessandra, s'est récemment rendu en Arabie saoudite afin d'illustrer la richesse de la culture et du patrimoine du pays.

Célèbre pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses œuvres, la visite d'Alessandra a été rendue possible grâce à l’ambassade de France et à l'Alliance française en Arabie saoudite.

Après avoir exploré Riyad, Alkhobar et AlUla, Alessandra a été séduit par le charme d'Al-Balad, la vieille ville de Jeddah.

Dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)
La vieille ville de Jeddah, dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)

«Cette partie de la ville de Jeddah est celle qui m'a le plus inspirée. On y ressent l'ambiance de l'époque où les pèlerins faisaient halte, nous percevons cette activité fervente, il y a une atmosphère de tradition séculaire toujours palpable», a déclaré Alessandra à Arab News.

L'architecture ancienne a été une riche source d'inspiration pour ses croquis, notamment les murs recouverts de patine et les portes complexes. Les dessins réalisés par M. Alessandra lors de son séjour à Djeddah visaient à capturer l'essence du passé et du présent vibrant d'Al-Balad.

Il a également organisé une performance en direct à Djeddah, où il a recréé des scènes d'Al-Balad, offrant aux spectateurs un aperçu de son processus artistique.

«Le sujet était une promenade improvisée dans Al-Balad, basée sur mes croquis de l'après-midi, que j'ai reproduits à l'aquarelle sur l'écran. Des scènes de vie dans la rue, des bâtiments des siècles passés, les minarets des mosquées des quartiers traversés», explique-t-il.

Pour Alessandra, les voyages servent de source constante d'inspiration. S'inspirant de ses expériences à travers l’Afrique, il explique que «c'est l'atmosphère et les habitants d'un pays qui façonnent ma façon de dessiner, c'est sur le terrain que je puise mon inspiration réelle».

Évoquant sa récente visite au Royaume, M. Alessandra a déclaré qu'il était impressionné par la scène culturelle florissante de l'Arabie saoudite et par l'enthousiasme de la jeunesse pour l'expression artistique.

La vieille ville de Jeddah, dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)
La vieille ville de Jeddah, dessin de Joel Alessandra. L'artiste est connu pour son utilisation innovante du café et de l'aquarelle dans ses dessins (fournie)

Bien que les croquis d'Alessandra témoignent d'une profonde appréciation du patrimoine culturel de l'Arabie saoudite, il se garde bien de transmettre des messages explicites.

«Mon seul objectif est de communiquer l'émotion ressentie face à ce patrimoine culturel, architectural et historique incroyable et immensément riche. J'ai la chance de savoir dessiner et exprimer ainsi cette émotion à travers mes carnets de croquis et mes livres… J'espère que mes lecteurs y seront également sensibles», a-t-il déclaré.

Il a déclaré qu'AlUla l'avait laissé bouche bée.

«Il serait difficile d'oublier la fascination qu'AlUla a suscitée sur moi. Les tombes nabatéennes, le simple fait d'imaginer une vie animée là-bas, au milieu du désert, à une époque aussi lointaine, est tout simplement incroyable.

Imaginer que l'Empire romain ait poussé ses armées jusqu’à ces contrées lointaines est tout aussi fascinant.

Sans oublier la vieille ville avec ses rues ombragées et couvertes. C'est un véritable paradis qui inspire les créateurs», a-t-il ajouté.

Joel Alessandra (fournie)
Joel Alessandra (fournie)

L'année dernière, il s'est aventuré à faire des croquis dans les rues d'AlUla avec des étudiantes de l'école d'art locale.

«Ce moment reste gravé dans ma mémoire car ces étudiantes étaient attentives et désireuses de produire et apprendre à dessiner leur environnement. Je ne suis pas sûr d'avoir déjà rencontré une telle appétence chez les jeunes dans d'autres pays».

Son utilisation du café comme médium ajoute de la profondeur et de la richesse à ses œuvres, capturant les nuances des tons de peau et des paysages désertiques.

Pendant son séjour à Djeddah, il a animé des ateliers axés sur la francophonie, rassemblant des élèves de différentes écoles pour collaborer sur une œuvre de fiction à travers du texte et des dessins.

Dessin de Joel Alessandra (fournie)
Dessin de Joel Alessandra (fournie)

En impliquant des élèves de l'école française à un projet de livre de contes collaboratif, Alessandra a exploré le voyage fictif du voyageur musulman Ibn Battuta dans l'Arabie moderne. À travers l'écriture et le dessin, les élèves ont réimaginé les aventures d'Ibn Battuta en mêlant des éléments historiques et fantastiques.

«La quête d'une clé pour accéder à la porte du temps et permettre à Ibn Battuta de retourner à son siècle était très fascinante. C’était très amusant de voir comment les jeunes traduisaient cela graphiquement», a déclaré Alessandra.

En ce qui concerne son évolution en tant qu'artiste, M. Alessandra a souligné l’importance de la pratique constante, et a encouragé les artistes en herbe en disant : «Dessinez, dessinez et dessinez encore».

«Ayez toujours un carnet à dessin dans votre poche et entraînez votre main et votre esprit à chaque occasion. Que ce soit en attendant le bus, au café, ou pendant les publicités télévisées, profitez de chaque moment libre pour gribouiller dans ce carnet. Il n'y a pas d'enjeu, juste quelques lignes pour s'entraîner», a ajouté Alessandra.

Dessin de Joel Alessandra (fournie)
Dessin de Joel Alessandra (fournie)

135 ans après, «La nuit étoilée» de Van Gogh brille de nouveau à Arles

Des personnes regardent la peinture "La nuit étoilée" de Vincent Van Gogh lors de la visite de presse de l'exposition "Van Gogh et les étoiles" à la Fondation Vincent Van Gogh à Arles, dans le sud de la France, le 31 mai 2024. L'exposition sera ouverte du 1er juin au 8 septembre 2024. (Photo par Sylvain Thomas AFP)
Des personnes regardent la peinture "La nuit étoilée" de Vincent Van Gogh lors de la visite de presse de l'exposition "Van Gogh et les étoiles" à la Fondation Vincent Van Gogh à Arles, dans le sud de la France, le 31 mai 2024. L'exposition sera ouverte du 1er juin au 8 septembre 2024. (Photo par Sylvain Thomas AFP)
Short Url
  • Cette oeuvre revient donc pour la première fois, grâce à un prêt exceptionnel du musée d'Orsay, «à quelques mètres de l'endroit où elle a été fabriquée, inventée, par Vincent» van Gogh il y a près de 135 ans
  • Dans cette «nuit étoilée» peinte en une nuit de septembre 1888, Vincent «renverse la constellation de la Grande Ourse afin que les étoiles répondent à chaque réverbère, qui se reflètent eux-mêmes dans l'eau» bleutée du fleuve, en écho au ciel

ARLES, France : «Le tableau retrouve un peu sa maison, si on veut», sourit Bice Curiger, co-commissaire de l'exposition «Van Gogh et les étoiles», qui ouvre samedi jusqu'au 8 septembre à la Fondation van Gogh Arles.

«Le» tableau, c'est «La nuit étoilée» sur le Rhône. «Un des tableaux les plus populaires du monde», comme le décrit Jean de Loisy, l'autre co-commissaire.

Et cette oeuvre revient donc pour la première fois, grâce à un prêt exceptionnel du musée d'Orsay, «à quelques mètres de l'endroit où il a été fabriqué, inventé, par Vincent» van Gogh il y a près de 135 ans, poursuit-il.

Pièce centrale de l'exposition, cette «invention» vient marquer le dixième anniversaire de la Fondation, fondée et dirigée par des héritiers du géant pharmaceutique suisse Roche. Et autour d'elle, 160 œuvres de plus de 75 artistes, du XIXe à aujourd'hui, dont des pièces créées spécialement, s'attachent à en explorer les origines et les conséquences.

L'expo progresse par étapes, des Ténèbres aux Chemins de l'âme, car les étoiles ont toujours eu pour l'Homme une valeur métaphysique, en passant par le Cosmos, le Firmament, l'Astronomie ou les Spirales du ciel.

Avec comme fil conducteur le fait qu'au commencement était la science, en ce XIXe siècle où l'astronomie se conjugue à l'art pour entrer dans la culture populaire. Avec Jules Verne ou Victor Hugo bien sûr, mais aussi Camille Flammarion, fondateur de la «société astronomique de France» et «passager clandestin de l'exposition», explique Jean de Loisy.

- Grande Ourse renversée -

Et la science apporte le progrès, comme ces éclairages au gaz installés dans la ville d'Arles quelques années avant l'arrivée de van Gogh. Des éclairages que l'on retrouve dans cette «nuit étoilée» peinte en une nuit de septembre 1888, où Vincent «renverse la constellation de la Grande Ourse afin que les étoiles répondent à chaque réverbère, qui se reflètent eux-mêmes dans l'eau» bleutée du fleuve, en écho au ciel.

Autour du joyau de l'exposition (qui reprendra le chemin d'Orsay dès le 26 août) viennent cohabiter des constellations sur toile ou dessinées du Tchèque Frantisek Kupka, du Français Yves Klein ou de l'Argentin Lucio Fontana, ou encore un mobile-suspension de pierres, «Cieux extrêmement lourds», de la Polonaise Alicjia Kwade.

Et partout des planètes  --ou des ronds-- dans tous leurs états, chez Kandinsky, Malevitch, Klee, le futuriste italien Giacomo Balla ou encore Odilon Redon. Des étoiles, comme chez la photographe française Juliette Agnel, aux grands formats nocturnes dans le désert soudanais. Ou des réminiscences directes du tableau de van Gogh, chez le Belge Léon Spillaert ou l'Américaine Georgia O'Keeffe.

En conclusion, un «observateur de nébuleuse» créé spécialement par le sculpteur français Jean-Marie Appriou. Un corps qui se met en marche, surmonté d'une tête de Vincent prise dans une bulle de verre qui cache des éclats: scaphandre, planète, constellation...

Un Van Gogh qui tisse «le lien irrévocable entre les étoiles et la métaphysique», pour Jean de Loisy. Une métaphysique qui lui fait vouloir «quitter pour l'espace un monde corrompu par la violence», comme la dureté de la révolution industrielle, qu'il avait notamment observée à Londres.

Pendant son séjour à Arles, Vincent, sujet à des crises, sera hospitalisé à plusieurs reprises et se coupera un bout d'oreille. Il quittera d'ailleurs la ville pour être interné pendant un peu plus d'un an.

«Si je veux aller à Tarascon (à 20 kms d'Arles), je prends le train. Si je veux aller dans les étoiles, je prends la mort», disait le peintre. Moins de deux ans après avoir peint «la Nuit étoilée» d'Arles, il se suicide, le 29 juillet 1890.

 


En Iran, une grotte livre des traces de peuplement humain vieilles de 450 000 ans

Le massif calcaire de la grotte Qaleh Kurd (vue en haut à gauche), dans la vallée de Qaleh. (AFP)
Le massif calcaire de la grotte Qaleh Kurd (vue en haut à gauche), dans la vallée de Qaleh. (AFP)
Short Url
  • Cette découverte repousse de près de 300 000 ans les premières preuves datées de peuplement de la région
  • Les nouvelles fouilles, menées jusqu'à 2,50 mètres de profondeur sur une surface de seulement 11 mètres carrés, ont livré «des dizaines de milliers d'objets», décrit un expert

PARIS: Des milliers d'outils en pierre taillée, d'os de chevaux, et une dent de lait humaine: une grotte du plateau central iranien a livré des traces d'occupation humaine vieilles de 452.000 à 165.000 ans, les plus anciennes jamais trouvées dans cet immense territoire à la croisée du Levant et de l'Asie.

Cette découverte repousse de près de 300.000 ans les premières preuves datées de peuplement de la région, selon une étude publiée fin mai dans Journal of Paleolithic Archaeology.

C'est une zone "grande comme deux fois et demie la France" où le matériel archéologique aussi ancien est rare, explique à l'AFP Gilles Berillon, chercheur du CNRS au Musée de l'Homme et co-auteur de l'étude.

Les préhistoriens savaient que le plateau central iranien était peuplé depuis des centaines de milliers d'années, à en juger par la multitude de sites dans les régions alentours: le Levant, le Caucase à l'Ouest, l'Asie centrale à l'Est, où vécurent des humains de plusieurs espèces du genre Homo (Erectus, Néandertal, Denisova, Sapiens...).

Mais aussi par plusieurs découvertes en Iran de pierres taillées, à la surface du sol, et quelques rares fouilles ponctuelles.

Aucune fouille n'avait cependant encore permis de définir une chronologie aussi précise et étendue. "On est parti d’une raquette pleine de trous pour ces périodes anciennes de la Préhistoire", raconte le scientifique français.

Traces de boucherie 

En 2018, l'équipe du projet paléoanthropologique franco-iranien, menée par Gilles Berillon et Hamed Vahdati Nasab, de l'Université Tarbiat Modares à Téhéran, a ré-investigué la grotte de Qaleh Kurd (Nord de l'Iran), à la limite ouest du plateau central iranien, dominé par les monts du Zagros.

Située à 2.137 mètres d'altitude, la grotte avait fait l'objet de fouilles illégales plusieurs dizaines d'années auparavant, qui avaient mis au jour des outils en pierre taillée, laissés en surface près de l'entrée de la cavité.

Les nouvelles fouilles, menées jusqu'à 2,50 mètres de profondeur sur une surface de seulement 11 mètres carrés, ont livré "des dizaines de milliers d'objets", décrit Gilles Berillon.

Une multitude d'ossements de chevaux et d'hydrontins (l'âne sauvage européen) portant des traces de boucherie, et d'outils en pierre taillée ayant servi à la préparation de ces aliments. Un matériel très riche et surtout possible à situer dans le temps puisqu'il est resté bien en place sur plusieurs niveaux: le plus profond remonte à 452.000 ans, le plus récent à 165.000 ans.

Cerise sur le gâteau: une dent de lait humaine, impossible à dater directement mais trouvée dans une couche dont l'âge s'étend entre -165.000 et -175.000 ans. Soit la dent la plus ancienne jamais identifiée dans une région où aucune trace humaine clairement datée n'était jusqu'à présent connue au-delà de -80.000 ans, relève le Musée de l'Homme dans un communiqué.

Qui vivait là? 

La molaire d'enfant portait des traces d'abcès et de caries et sa racine était presque totalement résorbée. Elle était donc probablement tombée naturellement, à l'endroit où le groupe s’était installé.

"Il faut imaginer des groupes humains qui s’installaient dans la grotte, pour y vivre, manger… sans l'occuper de manière continue", suggère le chercheur. Car à plus de 2.000 mètres d'altitude, à cette époque géologique du Pléistocène moyen marquée par des périodes glaciaires, le site n'était certainement pas accessible toute l'année.

Qui étaient ses visiteurs ? Des Néandertaliens, comme leurs voisins qui vivaient à quelques centaines de kilomètres plus à l'ouest ? Des Dénisoviens d'Asie ? Des espèces plus anciennes encore, contemporaines de l'Homme de Tautavel des Pyrénées d'Europe, qui a le même âge que la plus ancienne strate de la grotte iranienne Qaleh Kurd ?

Faute de vestiges humains, il n'est pas possible de déterminer la ou les espèces de ses habitants.

"On se trouve dans une fourchette de temps qui couvre 300.000 ans d'histoire de l'évolution humaine, à une période de grande diversité culturelle où potentiellement toutes ces espèces ont pu exister, se succéder voire pour certaines coexister", y compris la nôtre, Homo sapiens, analyse Gilles Berillon.

"Les fouilles se poursuivent à Qaleh Kurd et espérons que d’autres sites de ces périodes puissent être également fouillés dans cette immense région pour mieux comprendre la complexité du peuplement humain", conclut-il.