PARIS: Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est ouvert hier devant la cour d’assises spéciale de Paris dans l’ancien palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité. Au cours de ce procès hors norme, qui se déroulera sur plus de huit mois (du 8 septembre au 25 mai 2022), plus de cent quarante-cinq journées d’audience sont programmées, trois cent trente avocats défendront mille sept cent soixante-cinq personnes de différentes nationalités qui se sont constituées parties civiles.
Un dispositif à la hauteur de l’événement
Pour les besoins des archives audiovisuelles de la justice, le procès est filmé par huit caméras installées dans une salle d’audience de 700 mètres carrés spécialement conçue pour accueillir le nombre très important de parties civiles ainsi que dans dix-sept salles annexes. En outre, une webradio sécurisée a été mise en place de manière à ce que les victimes puissent suivre les débats de chez elles.
Sur les vingt personnes qui seront jugées, quatorze seront présentes dans le box des accusés. Parmi elles, onze sont actuellement détenues. Six accusés seront absents, dont cinq sont présumés morts, comme les frères Fabien et Jean-Michel Clain, les deux personnes identifiées dans un message audio qui revendique les attentats du 13-Novembre, ou encore Oussama Atar, considéré comme l’un des responsables de la filière renseignement du groupe État islamique (EI) et ordonnateur des attentats parisiens.
Mohamed Abrini est accusé d’avoir accompagné en région parisienne les commandos du 13-Novembre et d’avoir participé au financement et à l’achat d’armes; Mohamed Amri, lui, est soupçonné d’être allé chercher Salah Abdeslam en voiture le soir des attentats afin de le conduire en Belgique. Mohamed Bakkali est l’un des logisticiens présumés des commandos et Osama Krayem le compagnon de cavale de Salah Abdeslam à Bruxelles après les attentats.

Selon de nombreuses personnes interrogées lors du premier jour du procès, l’un des moments forts sera incontestablement l’audition de Salah Abdeslam, qui aura lieu les 13 et 14 janvier 2022. Le Franco-Marocain, qui s’est muré dans le silence durant toute la période l’instruction, a déclaré, alors qu’il était interrogé par le président de la cour sur son identité, «être un combattant de l’État islamique» et ne pas reconnaître la justice des hommes, mais celle de Dieu. Considéré comme proche d’Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des commandos, il sera défendu par Olivia Ronen, une avocate de 31 ans désignée au mois de novembre 2020. Il risque la perpétuité.
Jean-Louis Périès assurera la présidence du procès. Ce magistrat expérimenté de 65 ans a pris en charge le dossier depuis un an et demi. Il sera aidé dans sa tâche par deux autres présidents d’assises, l’assesseure Frédérique Aline et la magistrate honoraire Xavière Siméoni. Trois avocats généraux représenteront l’accusation portée par le parquet national antiterroriste: Camille Hennetier, Nicolas Le Bris et Nicolas Braconnay.
«Juger des hommes»
Si le plus grand procès de la cour d’assises de Paris était attendu par les victimes des attentats et par leurs familles, il est également redouté. Ces dernières sont en effet partagées entre l’impatience et l’anxiété. Philipe Duperron, père de l’une des quatre-vingt-dix victimes du Bataclan et président de l’association «13onze15 Fraternité et vérité», a souligné qu’une préparation au procès avait été nécessaire pour les membres des parties civiles. Des groupes de parole et des réunions d’informations ont été organisés. «L’association portera la voix de tous ceux qui ne peuvent être là, au prétoire, celles des victimes et des proches de victimes», assure-t-il. De son côté, Arthur Dénouveaux, président de l’association «Life for Paris», déclare ne pas avoir d’attentes; il considère toutefois que ce procès va permettre «de juger des hommes, et non des monstres».
Interrogée par Arab News en français lors de ce premier de procès, Me Véronique Bayssières, avocate au barreau de Montpellier, constituée partie civile par la mère d’une des victimes du Bataclan, nous explique: «Le procès est important pour les victimes car il permet d’essayer de comprendre ce qui peut être compris dans ce qui apparaît comme absurde. On peut aussi opposer notre justice démocratique – avec un droit à la parole, même pour les accusés, un droit à la défense, puisque la plupart ont trois avocats payés par l’État français – à leur système d’intolérance et de violation des droits.» Elle ajoute: «Salah Abdeslam a commencé à revendiquer très fort, dès les premières minutes, son appartenance au groupe islamique et son statut de soldat de l’État islamique», en précisant qu’il y a là de quoi appréhender la suite des événements. Me Bayssières rappelle que, «dans la mentalité française, la victime a sa place dans le procès en tant que partie prenante de cet événement». «Elle doit faire entendre sa voix et, a contrario, son absence n’aurait pas été comprise par la société française», ajoute-elle.
Une longue instruction
Me Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, explique que ce procès fleuve a nécessité une longue instruction. Pour lui, il est essentiel de relater le parcours des accusés et de détecter dans la sécurité française d’éventuelles failles relatives au suivi des personnes qui sont aujourd’hui poursuivies. «En tant qu’avocat des parties civiles, j’attends que, à la fin du procès, les gens puissent enfin essayer, tant bien que mal, de passer à autre chose, car la procédure pénale et l’enquête empêchent le deuil. La fin de ce procès va permettre à certaines victimes d’avoir, enfin, un deuil serein», nous explique-t-il.

Les deux premiers jours sont consacrés à l’appel des parties civiles constituées et de plus d’une centaine de témoins. Lors du troisième jour, le président de la cour d’assises spéciale procédera à la lecture du rapport, qui résume plus de cinq cents tomes de dossiers.
Témoignage des rescapés
Dès le début du procès – à partir du 13 septembre –, l’enquête franco-belge va permettre d’entendre les témoins et de faire part des premiers éléments recueillis sur les neuf scènes de crime des attentats. À partir du 28 septembre, et durant cinq semaines, la cour entendra le témoignage des rescapés et des proches des victimes. La parole sera donnée ensuite aux accusés au sujet de leur personnalité et de leur parcours.
L’ancien président de la république François Hollande et son ancien ministre Bernard Cazeneuve seront entendus respectivement les 10 et 17 novembre prochain.
Quant aux trois cents avocats des parties civiles, ils commenceront leurs plaidoiries entre le 6 et le 22 avril. Les peines sollicitées par le parquet à l’encontre des accusés seront divulguées après le réquisitoire à trois voix qui aura lieu du 2 au 5 mai 2020. La défense, elle, sera entendue du 6 au 23 mai. La lecture du verdict est prévue les 24 et 25 mai 2022.