PARIS: Près de six ans après, Bibo Basbous s’en souvient encore dans les moindres détails. Il avait ouvert son café rue Alibert quelques semaines auparavant et préparait ce soir-là, avec deux amis, les gâteaux du lendemain quand il a entendu les rafales. «On est sortis dans la rue pour voir ce qu’il se passait. Deux hommes tiraient sur les gens attablés aux terrasses du Carillon et du Petit Cambodge. Ça a duré vingt secondes.»
Ce soir du 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux et les terrasses parisiennes sont noires de monde. Il est 21h24 quand trois hommes tout de noir vêtus et armés de kalachnikovs descendent d’une Seat noire au carrefour des rues Alibert et Bichat. Ils ouvrent le feu sur les serveurs et les clients attablés. En quelques rafales, Abdelhamid Abaaoud, l'organisateur des attaques, Chakib Akrouh et Brahim Abdeslam tuent 13 personnes avant de remonter en voiture et de poursuivre leur carnage dans le XIe arrondissement de Paris.
Bibo Basbous, propriétaire de Radiodays, a le réflexe de se baisser et il regagne son café en rampant. Il connaît bien le son des kalachnikovs, lui qui a grandi au Liban pendant la guerre civile. «Jusqu’à 10 ans, j’entendais régulièrement ce bruit, à Beyrouth ou ailleurs au Liban. Alors, même vingt ans après, on n’oublie pas ce son», témoigne-t-il, assis à la terrasse de son café, à deux jours de l’ouverture du procès des attentats du 13-Novembre, dont il espère qu’il apportera un peu de paix aux victimes et à leurs familles.
Lui a fait le choix de rester dans le quartier: «Près de six ans après, les habitudes reviennent, mais beaucoup de gens ont quitté le quartier, incapables de continuer à vivre sur les lieux et avec le souvenir de la tragédie. C’est devenu un lieu de pèlerinage.»
En face, à quelques mètres de là, Faredj Kemache sert les clients du Carillon. En ce lundi matin ensoleillé, tout est calme: certains discutent autour d’un café, tandis que d’autres travaillent sur leur ordinateur. La nuit de terreur semble loin.
«Certains clients en parlent, d’autres ne disent mot», explique Faredj derrière son comptoir. «Les serveurs de service ce soir-là sont traumatisés. C’est dur pour eux de surmonter tout ça. Les premiers temps, ils n’arrivaient même pas à dormir, même en voyant des psychologues», se rappelle Faredj, qui est au Carillon depuis peu: il a pris la relève de ses cousins qui y travaillaient comme serveurs et se trouvaient sur place au moment de l’attaque.
Alors que le procès des attentats du 13-novembre s’ouvre mercredi prochain, Bibo Basbous «espère que les services de renseignement sont plus forts aujourd’hui» et «qu’ils peuvent faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas».
Ce procès hors-norme, la plus grande audience criminelle jamais organisée en France, se tiendra jusqu'à mai 2022. Il a pour objectif de juger vingt accusés, parmi lesquels Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos téléguidés par le groupe État islamique (EI) qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés à Paris et à Saint-Denis, créant un véritable traumatisme dans le pays.