"On rentre dans un tunnel": alors que s'ouvre le procès marathon du 13-Novembre, Régis de Jorna, le magistrat qui a présidé l'audience des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher revient pour l'AFP sur sa longue et minutieuse préparation.
Attentats de janvier 2015, du 13 novembre 2015: ces procès "se préparent très longtemps, presque deux ans à l'avance", souligne M. de Jorna, le chef du "pôle assises" de la cour d'appel de Paris depuis six ans.
"Il faut déjà déterminer le lieu" pouvant accueillir les nombreux accusés et parties civiles, puis "le temps d'audience" nécessaire, enfin le choix du président ou de la présidente avec "accord de l'intéressé(e)" compte tenu de cette lourde "implication professionnelle, personnelle", note-t-il.
Désigné pour présider le procès du 13-Novembre, le magistrat Jean-Louis Périès est déchargé de toute autre audience depuis l'automne 2019. Il lui a fallu prendre connaissance de l'ensemble des pièces d'un dossier comptant plus de 500 tomes.
"Rien ne doit pouvoir nous échapper. On doit pouvoir se référer à la pièce, savoir à quoi correspond cette pièce et qu'est-ce qu'on peut en tirer" au procès, explique Régis de Jorna.
Six mois ont ainsi été nécessaires à ce magistrat pour lire chaque cote du dossier des attaques contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, "pas forcément de la première page à la dernière", et "uniquement sur dossier numérique".
Pendant le procès, Régis de Jorna est allé voir "par curiosité" le lieu tenu secret abritant l'intégralité du dossier pour mesurer son ampleur: "Heureusement que je ne l'avais pas vu avant! Six DVD, ça fait moins peur que 175 tomes de papier", sourit-il.
«Bonne forme»
Une fois le procès entamé, avant chaque début d'audience, ce sont également "plusieurs heures de préparation": un lever "à 4h30 le matin pour relire les procès-verbaux de la journée, voir la façon dont j'allais mener l'interrogatoire", confie Régis de Jorna.
"Même si c'est un dossier que j'ai préparé (...) si c'est une journée où on ne va parler que d'écoutes téléphoniques, de bornage, si je n'ai pas tout ça en tête, très frais du matin-même, je vais avoir quelques difficultés", justifie-t-il.
"Cela fait des journées très denses, week-end compris, avec beaucoup de fatigue physique, de fatigue nerveuse. Et le lendemain, il faut être à nouveau en bonne forme", convient le président d'assises.
Sans compter les pressions venues de l'extérieur et celle "qu'on se met soi-même: c'est, à la fin de chaque journée, se demander: +est-ce que l'écoute donnée aux victimes a été de bonne qualité ?+, +est-ce qu'on a donné aux accusés la possibilité de s'exprimer comme ils le souhaitaient?+, c'est ne pas perdre son sang-froid quand il y a des difficultés", égrène Régis de Jorna.
"Quand on rentre dans un dossier comme ceux-là, on rentre dans un tunnel", dit-il. "Le tunnel de la préparation, et aussitôt que ce tunnel est terminé, le tunnel du procès. Vous savez que, de semaine en semaine, vous allez avancer dans le tunnel jusqu'au délibéré."
Mais "il n'y a pas de petits procès, ceux qui sont médiatiques et ceux qui ne le sont pas", précise-t-il. A Melun, où il a présidé fin janvier une session de droit commun, quelques semaines après la fin du procès Charlie Hebdo/Hyper Cacher, Régis de Jorna assure avoir été "à nouveau dans le tunnel".
"Le procès, il est long, mais est-ce que c'est plus difficile de courir un 100 mètres aux JO ou le marathon? C'est aussi difficile, simplement ce n'est pas la même course", remarque-t-il. "Votre préparation, votre psychisme, votre volonté de franchir la ligne, sera la même".