RABAT : Le Maroc se prépare aux élections législatives et locales du 8 septembre, un scrutin avec un enjeu limité par la faible marge de décision des élus, mais dont dépendra l'avenir du parti islamiste au gouvernement.
Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste modéré) fait le pari de remporter les législatives pour la troisième fois depuis son arrivée aux affaires en 2011 -- sans détenir les ministères clés -- dans le contexte du Printemps arabe.
Au royaume, les décisions et les orientations majeures dans des secteurs clés continuent d'émaner d'initiatives du roi Mohammed VI.
Les rivaux du PJD (y compris les partis ayant pris part à la coalition gouvernementale ces dernières années), espèrent quant à eux tourner la page des islamistes. Mais la compétition se déroule sans polarisation claire.
En l'absence de sondages d’opinion en période électorale au Maroc, une étude sur l'indice de confiance publiée en février par l'Institut marocain d'analyse des politiques (IMAP) indique que 64% des Marocains sondés n'ont pas l'intention de participer aux élections. 98% d'entre eux ne sont pas encartés.
«Marge de décision»
Comment expliquer ce désintérêt croissant pour l'action politique? "Le Maroc n'a pas encore atteint le niveau des démocraties établies dans lesquelles les citoyens sont conscients que les partis politiques sont des institutions qui jouent pleinement leur rôle et sont capables de les servir", analyse un chercheur de l'IMAP Rachid Aourraz.
De son côté, le professeur en science politique Ahmed Bouz estime que le débat sur la pertinence des élections pour accéder au pouvoir n'a toujours pas été tranché, malgré l'adoption de la Constitution de 2011.
L'analyste n'écarte pas non plus "le sentiment chez les électeurs de la faible marge de décision des élus".
Historiquement et durant des décennies, la séparation des pouvoirs et le rôle du monarque dans l'arène politique était au cœur d'un bras de fer entre le palais et les partis d'opposition, la gauche en particulier.
En 2011, dans le sillage du Printemps arabe, le Maroc avait adopté une nouvelle Constitution accordant de larges prérogatives au Parlement et au gouvernement, plus proches des standards de la monarchie parlementaire, tout en consacrant un rôle central pour le roi.
Dans les faits, les grandes décisions dans les domaines stratégiques comme l'agriculture, les énergies ou encore l'industrie émanent d'initiatives royales, indépendamment des changements au sein de l'exécutif.
Cette dynamique a été visible en période de pandémie avec notamment l'annonce, par le souverain d'un plan de relance économique pendant l'été 2020 d'environ 12 milliards d'euros ou d'un projet inédit de généralisation de la couverture médicale d'ici 2025.
Si aujourd'hui les islamistes mettent avant le bilan du gouvernement sortant, certains médias locaux n'hésitent pas à les tancer, arguant que les réalisations sont le fait d'initiatives royales.
De son côté, le politologue Mohamed Tozy nuance: "aujourd'hui on ne peut accéder aux postes de décision sans passer par les élections, c'est le plus important".
«Elites politiques»
Quels que soient les résultats du prochain scrutin, il est attendu que l'ensemble des partis politiques adoptent une charte, découlant du "nouveau modèle de développement", qui augure une "nouvelle génération de réformes et de projets", comme l'avait indiqué récemment Mohammed VI dans un discours.
Ce modèle, conçu par une commission nommée par le roi, esquisse plusieurs pistes visant notamment à réduire les profondes disparités sociales du pays et à doubler le PIB par habitant à l'horizon 2035.
Le texte formule "des choix stratégiques, rien n'empêche les partis politiques de réorganiser les priorités", souligne Mohamed Tozy, également membre de la commission ayant conçu ce projet de développement.
Pour le politiste Mohamed Chiker, "les grandes orientations sont tracées, les élections ne serviront donc qu’à produire les élites politiques capables de les mettre en œuvre".
Preuve en est "les programmes électoraux de l'ensemble des partis se ressemblent", estime le politologue Mustapha Sehimi.
Ce qui, selon lui, "exacerbe la distance entre les électeurs et les institutions". Atteindre 45% de participation (contre 43% en 2016) "serait une agréable surprise", ajoute-t-il.