DUBAÏ: La course pour acheter l’une des applications de médias sociaux les plus populaires du marché s’intensifie, alors que son propriétaire actuel se prépare à une bataille judiciaire avec le gouvernement américain.
Certaines des plus grandes entreprises du monde sont en pourparlers pour acquérir la plate-forme chinoise de partage de vidéos TikTok après le décret du président américain, Donald Trump, le mois dernier, qui interdirait l’application aux États-Unis pour des raisons de sécurité nationale à moins qu’une autre entreprise ne l’achète d’ici à mi-septembre.
Le 24 août, TikTok et un employé de l’entreprise ont intenté des poursuites distinctes en Californie contre le décret du 6 août.
Les utilisateurs du Moyen-Orient s’inquiètent des ramifications régionales d’une éventuelle interdiction américaine.
Avec plus de 800 millions d’utilisateurs actifs, selon DataReportal, et plus de 2 milliards de téléchargements en avril 2020, l’application se classe parmi les 10 plates-formes de médias sociaux les plus populaires au monde.
Au Moyen-Orient, les influenceurs des médias sociaux et les créateurs de contenu ont accueilli l’application avec enthousiasme.
En 2019, l’Arabie saoudite se classait au huitième rang des pays en ombre d’utilisateurs, selon RouteNote.
C’est à Dubaï, aux Émirats arabes unis (EAU) qui occupent la deuxième place parmi les États membres du Conseil de coopération du Golfe, que TikTok a installé, en 2018, son bureau régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Les EAU se classent au 11e rang mondial en nombre d’influenceurs sur TikTok, avec une moyenne de 380 vidéos téléchargées sur leurs pages.
« TikTok a connu une croissance rapide cette année, et en particulier au Moyen-Orient où il a été très bien accueilli », explique Rami Zeidan, responsable de la vidéo et de la création au bureau de TikTok à Dubaï.
« Nous avons vu du contenu émerger dans plusieurs parties de la région, en particulier grâce à la participation de nos créateurs de contenu à certains défis hyper locaux, et nous avons récemment constaté une augmentation du contenu dans les domaines du fitness, de la technologie et du jeu. »
Selon Zeidan, un des principaux engagements de l’application dans la région est de cultiver la communauté TikTok à travers différents défis sur la plate-forme et d’autres initiatives adaptées au public arabe.
« Nous travaillons en étroite collaboration avec les membres de notre communauté TikTok et nous les encourageons à exprimer leur créativité à travers une variété de secteurs allant de la musique à la nourriture, à l’éducation, aux voyages, au fitness, à la mode et à la comédie, car nous ne priorisons aucun domaine », ajoute-t-il.
Cette popularité grandit avec l’incertitude quant à l’avenir de l’application à la suite du décret de Trump et des défis juridiques.
Le décret interdit toute transaction américaine avec la société mère chinoise de TikTok, ByteDance.
Le décret stipule que les données collectées par TikTok « menacent de permettre au Parti communiste chinois d’accéder aux informations personnelles et exclusives des Américains » et pourraient permettre à la Chine de localiser les employés et les sous-traitants fédéraux.
En vertu de ce décret, TikTok serait définitivement bloqué pour des millions d’utilisateurs aux États-Unis à moins qu’une autre entreprise n’acquière l’application d’ici au 20 septembre.
Après à ces attaques, TikTok fait valoir qu’elle n’a pas eu la possibilité de répondre, et que les préoccupations en matière de sécurité nationale entourant l’application sont sans fondement.
« Le décret n’est pas enraciné dans de véritables problèmes de sécurité nationale », lit-on dans la plainte publiée sur le site Web de la société.
« Des experts indépendants de la sécurité nationale et de la sécurité de l’information ont critiqué la nature politique de ce décret et ont exprimé des doutes quant à la véracité de son objectif de sécurité nationale déclaré. »
Une poursuite distincte déposée par un employé de TikTok qualifie le décret d’« extrêmement large » et se demande si les salaires des employés seront couverts malgré la partie du décret qui interdit les transactions avec l’entreprise.
De nombreux experts des médias sociaux estiment que la controverse est davantage liée aux tensions américano-chinoises.
« Les applications créent de grands débats autour des données, mais chaque application que nous utilisons contient tellement de données, auxquelles de nombreux gouvernements ont déjà accès » a déclaré à Arab News Alexandra Maia, stratège créative des médias sociaux et PDG de House of Social, une entreprise de conseil basée à Dubaï.
« Puisque TikTok est une application appartenant à des Chinois – et nous savons qu’il y a des tensions entre la Chine et les États-Unis – c’est une recette pour le désastre, et nous devons simplement attendre et voir ce qui va se passer. »
Maia a déclaré qu’une interdiction potentielle aux États-Unis pourrait créer un sentiment temporaire d’incertitude chez les utilisateurs réguliers du monde arabe, mais n’aura pas d’impact sur les « purs créateurs de contenu » qui construisent une marque.
« La majorité des gens hésitent peut-être un peu à continuer à créer fréquemment du contenu, mais un petit groupe de créateurs engagés continuera à le faire parce qu’ils comprennent le jeu », ajoute-t-elle.
« Nous observons cela avec TikTok au Moyen-Orient, tout comme nous l’avons observé avec Snapchat en Arabie saoudite. Les jeunes générations arrivent en premier parce qu’elles sont les plus avisées et sont les plus précoces dans leurs goûts. L’ancienne génération commence alors à rattraper son retard. »
En termes pratiques, TikTok a initialement attiré des adolescents en raison de ses outils d’édition uniques et faciles à utiliser, mais il est rapidement devenu populaire parmi les trentenaires, le hashtag #over30’sclub devenant viral ces derniers temps. Malgré la controverse, Maia, comme beaucoup d’autres analystes, pense que TikTok est « là pour durer ».
Le buzz autour des acheteurs potentiels, y compris Twitter, Microsoft et plus récemment Oracle, crée une anticipation sur l’avenir de TikTok dont la valeur est estimée aujourd’hui à 75 milliards de dollars selon PitchBook.
L’homme derrière l’application, laquelle compte des millions de personnes qui publient des vidéos de courte durée sur leur portable, est le milliardaire chinois Zhang Yiming, dont la fortune nette s’élève à 16,2 milliards de dollars.
Connu pour être extrêmement secret quant à sa vie personnelle, Zhang a qualifié la demande de Trump de vendre l’application de « déraisonnable ».
Un porte-parole de TikTok a déclaré à Arab News: « Depuis que nous avons annoncé publiquement, il y a deux semaines, que nous évaluons les changements apportés à la structure d’entreprise de TikTok, de nombreuses suggestions ont été faites par des personnes externes non impliquées dans les discussions de l’entreprise. Nous ne commentons pas les rumeurs ou les spéculations. Nous sommes très confiants dans le succès à long terme de TikTok et rendrons nos projets publics lorsque nous aurons quelque chose à annoncer. »
TikTok a lancé un portail d’actualités appelé « The Last Sunny Corner of the Internet » pour répondre aux commentaires concernant le décret de l’administration Trump, et pour expliquer son approche de la lutte contre la désinformation et la feuille de route de sécurité de l’application.
Pour les créateurs de contenu concernés dans le monde arabe, Maia a quelques conseils: « En tant que spécialistes du marketing et hommes d’affaires, nous devons simplement nous concentrer sur la création de contenu, la construction de notre marque, être transparent avec nos abonnés et commencer à nous préparer un peu à une stratégie de sortie en cas de besoin. Mais d’ici là, créez votre contenu et votre communauté vous suivra là où vous voulez qu’elle vous suive. »
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com