KABOUL: Les évacuations d'étrangers et Afghans fuyant le nouveau régime des talibans sont entrées dimanche dans leur dernière ligne droite à l'aéroport de Kaboul, à deux jours du retrait américain prévu et dans la crainte d'un nouvel attentat sanglant.
Après l'attaque suicide revendiquée par le groupe Etat islamique au Khorasan (EI-K) qui a tué jeudi plus 13 soldats américains et près d'une centaine d'Afghans parmi les milliers massés devant l'aéroport pour tenter de quitter le pays, le président américain Joe Biden a prévenu qu'une nouvelle attaque imminente y était "très probable".
Depuis le soudain retour au pouvoir des talibans à la mi-août, après la débâcle de l'armée afghane longtemps soutenue par les Américains et leurs alliés avant que ceux-ci n'amorcent leur retrait, plus de 112.000 personnes ont quitté le pays à bord de la noria d'avions affrétés notamment par les Occidentaux qui se succèdent sur le tarmac.
Le rythme des évacuations a baissé ces derniers jours, à mesure que de nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni et la France, annonçaient avoir achevé les leurs, à deux jours de la date butoir du 31 août prévue pour le retrait américain qui signera la fin de 20 ans d'une guerre infructueuse contre les talibans.
Ce court délai fait craindre qu'une partie des Afghans qui se disent menacés par les talibans, notamment ceux qui ont travaillé avec des forces ou civils étrangers au cours des deux dernières décennies, ne seront pas évacués.
La situation chaotique à l'aéroport de Kaboul, assailli juste après le retour des talibans par des milliers de candidats à l'exil, a pris un tour dramatique jeudi avec le bain de sang provoqué par l'attaque suicide revendiquée par l'EI-K, rival des talibans et auteur de plusieurs attentats meurtriers dans le pays ces dernières années.
La tension y restait vive dimanche, Joe Biden ayant estimé samedi soir que "la situation sur les lieux" restait "extrêmement dangereuse" et "la menace d'une attaque terroriste contre l'aéroport (...) élevée", ajoutant avoir été informé par ses commandants "qu'une attaque était très probable dans les 24 à 36 heures".
Quelques heures après, l'ambassade américaine à Kaboul a exhorté tous les Américains à quitter les abords de l'aéroport, comme elle l'avait fait ces derniers jours, "en raison d'une menace précise et crédible".
Collaboration
Selon les derniers bilans de l'attentat de jeudi, 90 morts et 150 blessés ont été recensés dans les hôpitaux locaux. Certains médias locaux ont fait état d'un bilan de 170 morts. Treize soldats américains et deux Britanniques ont également péri.
En représailles, l'armée américaine a annoncé que ses drones avaient bombardé des "cibles importantes" de l'EI-K dans l'est afghan, tuant deux jihadistes de haut rang, sans révéler de noms.
"Cette frappe n'était pas la dernière", a prévenu Joe Biden. "Nous continuerons à traquer tout individu impliqué dans cet attentat odieux et les ferons payer".
A Kaboul, les talibans consolidaient leur emprise, notamment autour de l'aéroport, dernière enclave occupée par les Occidentaux, menés par les Américains, avant le retrait.
Des combattants talibans lourdement armés ont circulé samedi sur les terrains et dans les bâtiments annexes de l'aéroport, selon des journalistes de l'AFP, alors que des soldats américains les observaient depuis le toit du terminal passagers.
Les talibans ont bouclé les routes menant à l'aéroport et ne laissent passer que les bus autorisés, dont plus d'une douzaine ont déchargé des passagers à la porte principale de l'aéroport samedi.
L'attentat de jeudi a poussé les talibans et Américains à collaborer plus étroitement. "Nous avons des listes données par les Américains (...) Si votre nom est sur la liste, vous pouvez passer", a expliqué à l'AFP un responsable taliban.
L'attaque a fait disparaître la foule des milliers d'Afghans massées auparavant depuis des jours à l'extérieur du site dans l'espoir d'accéder au tarmac, a constaté l'AFP.
La Turquie a entamé des discussions avec les talibans afin de contribuer à la remise en service de l'aéroport. Selon son président Recep Tayyip Erdogan, les talibans entendent superviser la sécurité de l'aéroport et proposent à Ankara d'y gérer la logistique.
Très critiqué pour sa gestion de la crise afghane et du retrait américain, Joe Biden s'est engagé à respecter l'échéance du pont aérien. L'Otan et l'Union européenne avaient appelé après l'attaque de jeudi à poursuivre les évacuations malgré tout.
"Zone protégée"
Le Royaume-Uni a achevé ses évacuations samedi avec le départ d'un vol transportant ses derniers militaires.
Le ministre britanniqiue de la Défense Ben Wallace a estimé que jusqu'à 1.100 Afghans éligibles à un départ pour la Grande-Bretagne étaient restés sur place. Londres les accueillera s'ils parviennent à quitter le pays par un autre moyen après la date-butoir, a précisé le chef des forces armées britanniques, le général Nick Carter, jugeant "déchirant" ne pas avoir "pu faire sortir tout le monde".
Italie, Allemagne, France, Suisse, Espagne, Suède, Pays-Bas, Canada et Australie ont aussi indiqué avoir achevé leurs vols d'évacuation.
Emmanuel Macron a affirmé samedi que la France avait déjà évacué 2.834 personnes d'Afghanistan et menait "des discussions" avec les talibans et le Qatar pour poursuivre l'évacuation d'Afghans menacés.
La France et le Royaume-Uni vont plaider lundi à l'ONU en faveur de la création à Kaboul d'une "zone protégée" pour mener des opérations humanitaires, a par ailleurs déclaré le président français à l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche.
Les talibans se sont efforcés depuis leur retour d'afficher une image d'ouverture et de modération. Mais beaucoup d'Afghans, souvent urbains et éduqués, redoutent qu'ils n'instaurent le même type de régime fondamentaliste et brutal que lorsqu'ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001.
Leurs craintes sont alimentées par divers témoignages d'Afghans à Kaboul et ailleurs indiquant que des talibans traquent ceux qui ont travaillé avec leurs anciens ennemis.
Vendredi à Doha, Sher Mohammad Abbas Stanikzai, un ancien négociateur taliban dans les pourparlers de paix vendredi, a cherché à rassurer sur le sort des femmes, indiquant qu'elles avaient "le droit inné" de travailler.
A l'ONU, une réunion des membres permanents du Conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan est convoquée lundi.