KFAR NABRAKH : Comme si le traitement de son cancer n'était pas déjà assez pénible, Rita doit maintenant batailler pour se procurer les médicaments dont elle a besoin, en raison de la profonde crise économique secouant le Liban.
"Le traitement, c'est comme du feu qui pénètre dans votre corps", affirme à l'AFP la femme de 53 ans, s'exprimant sous un pseudonyme.
"Mais en plus de tout cela, il faut maintenant pouvoir trouver les médicaments nécessaires", lâche-t-elle les larmes aux yeux.
Chute libre de la monnaie locale, restrictions bancaires inédites, hyperinflation, pénuries de courant, de carburants et de médicaments, le Liban traverse selon la Banque mondiale une des pires crises économiques au monde depuis 1850.
Avant la crise, le ministère de la Santé fournissait des médicaments à prix réduits pour les patients souffrant de maladies chroniques non couverts par une assurance maladie, dont Rita. Mais plusieurs médicaments de base sont aujourd'hui introuvables.
Depuis son diagnostic d'un cancer du col de l'utérus, il y a trois ans, la maladie de Rita s'est propagée à d'autres organes. Cette mère de trois enfants souffre aussi d'infections urinaires et sanguines.
"Mon frère n'a pas trouvé les médicaments (...) au ministère", déplore cette quinquagénaire, les traits tirés, rencontrée dans son domicile à Kfar Nabrakh (sud-est).
Pour s'en procurer, Rita dit avoir acheté des médicaments à des prix exorbitants sur le marché noir, l'obligeant à s'endetter. Elle affirme qu'elle n'aura bientôt plus les moyens de s'en procurer.
"Qu'est-ce que je fais si je ne peux plus emprunter d'argent? Dois-je attendre mon tour (pour obtenir des médicaments du ministère) au risque de voir le cancer s'étendre davantage?", demande-t-elle.
"Si je ne peux obtenir le médicament, je vais mourir".
« Plus que quelques médicaments »
Le Liban a enregistré 28.764 cas de cancer durant les cinq dernières années, dont 11.600 cas en 2020, selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) publié en mars 2021. Des médecins expliquent toutefois que le nombre de malades est plus élevé, vu que la durée de traitement de certains patients peut durer plusieurs années.
Selon Ahmad Ibrahim, président de la Société libanaise d'hématologie et de transfusion sanguine, entre 2.000 et 2.500 cas de leucémies et de maladies lymphatiques sont enregistrés chaque année au Liban.
"Mais, dit-il, il ne reste plus que quelques médicaments nécessaires pour leur traitement", disponibles dans les pharmacies au Liban, où 78% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU.
"Si le traitement de ces patients n'est pas suivi de manière régulière, certains vont mourir", met-il en garde.
"La santé de plusieurs d'entre eux s'est récemment dégradée, alors qu'ils étaient en fin de traitement et que leur état s'était amélioré."
A court de solutions, nombre de Libanais s'en remettent aux réseaux sociaux et sollicitent notamment des proches pour qu'ils ramènent de l'étranger des médicaments.
Début juillet, le syndicat des importateurs de médicaments avait déjà tiré la sonnette d'alarme sur des ruptures de stock touchant des "centaines" de produits nécessaires pour le traitement de maladies chroniques.
« lls se moquent de nous »
Jeudi, l'Association Barbara Nassar, qui soutient les patients souffrant de cancer, a organisé une manifestation à Beyrouth pour demander un meilleur accès aux médicaments.
"Imaginez-vous! En plus de tous leurs soucis, les patients atteints de cancer doivent sortir dans la rue pour exiger des médicaments", a déclaré à l'AFP le président de l'association, Hani Nassar.
"Pourquoi les patients doivent payer le prix fort de la crise, alors que c'est l'Etat qui est incapable de la gérer?", demande-t-il.
A Hazmieh, dans la banlieue de Beyrouth, Patricia Nassif, 29 ans, dit craindre ne plus pouvoir suivre le traitement de son cancer du sein.
Diagnostiquée en avril, huit mois après son mariage, elle a vu son rêve de devenir maman s'envoler. "Je perds souvent espoir", confie la jeune mariée, coiffée d'une perruque noire avec des mèches violettes.
Elle affirme ne pas savoir si elle pourra finir les douze séances de chimiothérapie qui lui restent et craint devoir dépenser des milliers de dollars à l'étranger pour se procurer ses médicaments. Elle ne cache pas sa colère contre les autorités.
"C'est comme s'ils nous disaient 'Mourez lentement' (...) Ils se moquent de nous".