PARIS : Il était midi et nous étions assis dans le couloir avec un autre prisonnier, appelé Farid. Je ne savais toujours rien de ce qui se passait dans la prison. Sous le bandeau, nous avons remarqué que les prisonniers étaient regroupés puis emmenés dans un couloir qui fut plus tard nommé «le couloir de la mort». Vers minuit ou minuit trente, tous les prisonniers avaient été emmenés.
Quelques minutes plus tard, Farid et moi avons été envoyés dans la cellule 4, quartier 2. Quand j'ai retiré mon bandeau, j'ai vu Siamak devant moi. La dernière fois que j'avais vu mon ami, c'était il y a cinq ans, et nous nous cherchions depuis. Dès que Siamak m'a vu, il m'a serré dans ses bras et il m'a dit qu'ils avaient tué tout le monde. Surpris par ce que j'avais entendu, j'ai dit: «Quoi?» Il a alors répété: «Ils ont tué tout le monde!» J'ai dit: «Ce n'est pas possible.» Je ne pouvais pas y croire.
Il m'a expliqué: «Depuis jeudi et vendredi de la semaine dernière, les Gardiens de la révolution ont changé de comportement. Ils nous ont interdit de regarder la télévision. Aucune visite en prison n'a été autorisée. La distribution de journaux a été arrêtée.» En réalité, ils ont commencé le massacre le samedi 29 août.
Il y a deux prisons principales à Téhéran: celle de Gohardasht et celle d'Evin. Cette dernière, tristement célèbre, est la principale prison de la capitale iranienne. Des milliers d'exécutions y ont eu lieu. La prison de Gohardasht est située près de la ville de Karadj, à l'ouest de Téhéran; elle abritait un grand nombre de prisonniers politiques.
Un comité de la mort a été affecté aux prisons d'Evin et de Gohardasht, chargé de déterminer si un prisonnier restait opposé au régime de Khomeini. Si la réponse était «oui», une sentence d'exécution était prononcée.
Ce comité, qui supervisait également le processus d'exécution, était composé de Hossein-Ali Nayeri, Mostafa Pour-Mohammadi, Morteza Eshraghi et Ebrahim Raïssi, le nouveau président du régime. Un groupe de trois personnes, parmi lesquelles figurent Mohammed Moghisehaei, Davood Lashgari et Hamid Nouri, était chargé d'exécuter les ordres donnés par le comité de la mort.
Hamid Nouri est actuellement jugé en Suède pour crimes contre l'humanité. Il emmenait les personnes condamnées par le comité de la mort dans la salle de pendaison et leur passait la corde au cou. Nouri attrapait souvent les prisonniers qui avaient la corde autour du cou et les tirait vers le bas pour accélérer le processus, se montrant impitoyable et barbare. Dieu sait qu'il a répété ce processus des centaines ou des milliers de fois. Le mot «tueur» ne peut pas le définir complètement. Bien que Nouri ait compté parmi ceux qui ont obéi aux ordres d'exécution, les coupables les plus importants sont ceux qui ont rendu le verdict et prononcé la peine de mort.
Le comité de la mort de Morteza Eshraghi et d’Ebrahim Raïssi, son successeur à l'époque, a établi des ordres d'exécution rapide du jeudi 27 août à la fin du mois de septembre.
Il a émis chaque jour entre vingt et trois cents ordres d'exécution. Pour eux, il s’agissait d’ordres aussi banals que de commander une tasse de thé et de la savourer. Vraiment inimaginable! Lorsque Farzin Nosrati a été amené dans la pièce, les membres du comité ont prononcé sa condamnation à mort dès qu’il a donné son nom. Il leur a fallu moins de dix secondes pour envoyer un jeune homme au bout d’une corde!
Ces mêmes personnes ont obtenu des postes gouvernementaux plus élevés pour avoir accompli toutes ces atrocités inhumaines. Par exemple, Ebrahim Raïssi, qui était procureur adjoint à l'époque, est devenu ensuite le chef de l'inspecteur général du pays, le chef du pouvoir judiciaire; il est aujourd’hui président de l'Iran. Mostafa Pour-Mohammadi, qui représentait le ministre du Renseignement au sein du comité de la mort, est devenu plus tard le conseiller à la sécurité de Khamenei. Au sein du cabinet d'Ahmadinejad, il s'est vu confier le poste de ministre de l'Intérieur; il est désormais à la tête de l'inspection générale. Ismail Shoushtari, qui était à la tête de l'organisation des prisons, est devenu ministre de la Justice sous la présidence de Rafsandjani et celle de Khatami.
La nomination de Raïssi comme président du régime illustre la cruauté sans précédent du régime des mollahs.
Raïssi a joué un rôle unique dans le meurtre de 30 000 prisonniers politiques en 1988, en application de la fatwa de Khomeini. Plus de 90% des prisonniers massacrés étaient des membres et des partisans du MEK (Organisation des moudjahidines du peuple iranien, NDLR), la principale opposition du régime. La fatwa de Khomeini déclarait que tous les militants du MEK, les ennemis jurés du régime iranien, s'ils persistaient dans leurs croyances – c'est-à-dire dans leur résistance face à ce régime pervers –, devaient être exécutés simplement au nom de leurs idées.
En outre, Raïssi, en tant que chef du pouvoir judiciaire, a été impliqué dans de nombreuses exécutions depuis le massacre de 1988, ainsi que dans la répression de manifestations généralisées telles que le soulèvement du mois de novembre 2019, au cours duquel plus de 1 500 manifestants ont été tués dans les rues de différentes villes d'Iran.
La nomination de Raïssi à la présidence avait pour but de faire cesser les vagues croissantes de soulèvements et de manifestations dans tout l'Iran, actuellement menés par la jeunesse iranienne.
Ces jeunes forment de petits groupes, appelés «unités de résistance», qui prônent le plan en dix points de Mme Maryam Radjavi, le leader de l'opposition iranienne. Ce programme appelle à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la séparation de la religion et de l'État et à un Iran non nucléaire. L'arrivée du nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, marque la fin du système des mollahs.
À l'image des précédents présidents, la confrontation d'Ebrahim Raïssi avec le reste du pouvoir et les revendications légitimes du peuple ont déjà pris un nouveau départ. La participation maximale de 10% à l'élection présidentielle de juin 2021 (NDLR: le taux officiel de participation annoncé est de 48,8%)illustre le début de cet affrontement. Tout porte à croire que cette fois, le vainqueur ne sera pas le régime.
Dans le même temps, la présidence de Raïssi est une épreuve historique pour la communauté internationale. Les gouvernements du monde interagiront-ils avec un président qui a accompli un massacre générationnel, ou soutiendront-ils le peuple iranien?
Mahmoud Royaee, ancien prisonnier politique iranien et témoin du massacre de 1988