KABOUL : L'émissaire américain Zalmay Khalilzad en était convaincu: si quelqu'un pouvait ramener la paix en Afghanistan, c'était lui-même. Au final, il aura surtout contribué au retour des talibans et à la mort de la république afghane.
Ce diplomate de carrière, né en Afghanistan et âgé de 70 ans, a été le représentant de Washington dans les pourparlers avec les talibans à Doha, qui ont débouché sur l'accord en février 2020 prévoyant le retrait des forces américaines et étrangères de ce pays.
Avant de parvenir à cet accord, qualifié à l'époque d'historique, il a conduit pendant des mois d'intenses tractations qui l'ont mené de capitale en capitale, participé à des sommets dans de luxueux hôtels et donné des conférences dans de prestigieux centres de réflexion.
Partout, il a assuré que les talibans étaient prêts à faire des concessions et à trouver un compromis.
Auparavant loquace sur les réseaux sociaux, M. Khalilzad est silencieux depuis que les talibans ont repris avec une vitesse stupéfiante le pouvoir le 15 août, après l'effondrement du gouvernement soutenu par les États-Unis.
Le département d’État américain a indiqué la semaine dernière qu'il était resté au Qatar, tentant de contribuer au téléphone à la conclusion d'un accord politique.
Mais c'est bien l'accord de 2020, et le désastre qui en a découlé, qui restera son héritage en Afghanistan.
Pour Husain Haqqani, un ancien ambassadeur pakistanais aux États-Unis désormais analyste au Hudson Institute, M. Khalilzad a répété aux présidents américains successifs qu'il tenait un accord de paix, quand ce n'était qu'une reddition déguisée.
"Il a mal négocié, enhardi les talibans et prétendu que les discussions déboucheraient sur un accord de partage du pouvoir, même si les talibans n'en avaient aucunement l'intention", explique M. Haqqani à l'AFP.
Vagues garanties
M. Khalilzad a été nommé émissaire pour l'Afghanistan en 2018, sous Donald Trump, pour négocier avec les talibans, après des années de guerre contre ceux que Washington avait chassés du pouvoir en 2001 juste après les attentats du 11-Septembre.
Né à Mazar-i-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan, il parle couramment le pachtou et le dari, les deux principales langues du pays. Sa carrière reste associée aux "faucons" de l'administration de George W. Bush du début des années 2000, dont il était proche, en particulier le vice-président Dick Cheney.
Il occupe divers postes au département d'État et au Pentagone avant d'être un très influent ambassadeur des États-Unis en Afghanistan de 2003 à 2005, puis d'occuper les mêmes fonctions en Irak. Il gagne une réputation de fin négociateur.
Ambassadeur des États-Unis à l'ONU de 2007 à 2009, il critique ensuite la gestion de la guerre afghane par le président Barack Obama, en particulier sa décision de retirer les troupes américaines.
Il revient sur le devant de la scène en 2018 sous Donald Trump, nommé conseiller à la Défense nationale d'une administration qui avait décidé de parler aux talibans.
Pour lancer le processus, M. Khalilzad obtient cette année-là la libération du mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur des talibans, détenu depuis 2010 au Pakistan.
Pendant ces mois de négociation au Qatar, il a semblé avoir développé une relation de proximité avec les délégués talibans. Des photos où il échange de franches rigolades avec eux font froncer bien des sourcils en Afghanistan, où la guerre fait toujours rage.
Le 29 février 2020 à Doha, les États-Unis signent en grande pompe avec les talibans un accord historique prévoyant le retrait de tous les soldats étrangers d'ici le 1er mai 2021. Mais ils obtiennent peu en échange.
"Khalilzad n'a arraché qu'un engagement fort: qu'ils n'attaqueraient pas les États-Unis et ses alliés", pendant la phase de retrait des troupes, a écrit Kate Clark, membre de l'Afghanistan Analyst Network, dans un rapport récent.
« Sa stratégie a échoué »
Les autres promesses des talibans de couper les ponts avec Al-Qaïda et autres groupes jihadistes, et de négocier avec le gouvernement afghan sont encore plus évasives.
Avec le recul, cet accord paraît n'avoir été qu'une série de concessions des Américains, qui devaient quitter l'Afghanistan sans avoir obtenu un cessez-le-feu, ni même établi le cadre d'un futur accord de paix.
Plutôt que tenter d'obtenir plus des talibans, M. Khalilzad a ces derniers mois encore accentué la pression sur le gouvernement afghan, le poussant à libérer des milliers de leurs prisonniers, qui sont immédiatement allés renforcer les insurgés.
La confirmation par le président Joe Biden en avril du retrait américain, dont il a juste repoussé l'échéance au 31 août, a convaincu les talibans de lancer une vaste offensive, qui les a menés en quelques mois à Kaboul et au pouvoir.
Deux jours avant leur entrée dans la capitale le 15 août, le parlementaire américain Michael Waltz, un vétéran de l'armée passé par l'Afghanistan, avait envoyé une lettre à M. Biden, dans laquelle il dénonçait les "mauvais conseils" de l'émissaire.
"Sa stratégie diplomatique a échoué dans les grandes largeurs", a-t-il écrit, estimant qu'"au regard de cette catastrophe", M. Khalilzad devait "immédiatement démissionner ou être relevé de ses fonctions."