PARIS, TUNIS : Journalistes et militants des droits humains se sont mobilisés lundi à Paris, Alger et Tunis pour demander la libération du journaliste algérien Khaled Drareni, condamné à trois ans de prison ferme, à la veille de son procès en appel.
Drareni, 40 ans, est directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant en Algérie pour la chaîne francophone Tv5 Monde et RSF.
Incarcéré depuis le 29 mars, il a été condamné le 10 août à trois ans d'emprisonnement et à une lourde amende pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l'unité nationale ».
Le journaliste sera jugé en appel par « visioconférence » mardi, depuis le centre pénitentiaire de Koléa, près d'Alger.
Khaled Drareni est poursuivi pour sa couverture le 7 mars à Alger d'une manifestation du soulèvement populaire de protestation « Hirak ».
« Le pouvoir algérien a voulu en faire un exemple (...), mais il en a fait un symbole de défense de la liberté de la presse», a déclaré le secrétaire général de Reporters Sans Frontières (RSF), Christophe Deloire.
Ces derniers mois, des journalistes ont été accusés par le régime algérien de semer la discorde, de menacer l'intérêt national et surtout d'être à la solde de « parties étrangères ».
Plusieurs sont en prison, comme Abdelkrim Zeghileche, directeur de la radio indépendante en ligne Radio-Sarbacane, condamné le 24 août à deux années de prison. D'autres procès sont en cours.
El Manchar revient en ligne
Par ailleurs, malgré ce contexte d'incertitude, et après une suspension volontaire de plusieurs mois, par peur de la « répression », le journal satirique algérien « El Manchar » est à nouveau officiellement en ligne depuis dimanche, avec son mordant habituel à l'encontre des autorités.
« Le président (Abdelmadjid) Tebboune ordonne l'ouverture progressive d'El Manchar ». C'est avec ce titre ironique, une allusion au déconfinement « progressif » en cours en Algérie, que le journal satirique, dont l'arrêt brutal en mai dernier avait créé un vif émoi sur les réseaux sociaux, a annoncé son retour sur la scène médiatique et humoristique algérienne.
« Trop de peurs, d’angoisses, d’inquiétudes ont eu raison de nous, de notre légèreté habituelle. Avoir peur ou rire, il fallait choisir. Nous ne regrettons pas avoir pris le parti de la peur. J’espère que nous ne regretterons pas de prendre à partir de cet instant le parti du rire », écrit Nazim Baya, le fondateur du journal, sur son site.
« C’est la condamnation de Khaled Drareni qui nous a convaincus qu'il ne fallait surtout pas se taire », a-t-il expliqué.
« Perdu pour perdu, autant dire ce qu’on a à dire. Nous ne faisons rien de mal. Nous défendons des valeurs dans lesquelles nous croyons profondément : liberté d’expression, Etat de droit et démocratie », a insisté le fondateur d'El Manchar.
Nazim Baya et ses trois acolytes reviennent avec leur esprit incisif et des articles aussi drôles qu'insolents.
Ils annoncent d’emblée : « Pour des raisons de commodité, El Manchar installe son nouveau siège dans la prison d'El Harrach » en référence à la prison algéroise où sont détenus des prisonniers du mouvement de contestation populaire, le « Hirak ».
El Manchar, dont la devise est « Avec des scies, on refait le monde », se présente comme « un site d'informations fausses et complètement saugrenues » visant à « explorer le champ de l'absurde ».
Le site précise que les articles qui y sont publiés « ne renvoient à aucune occurrence du réel mais juste à des occurrences du possible ».
Toutefois, dans un climat de répression accrue à l'encontre des médias indépendants, les poursuites judiciaires engagées contre des journalistes, le blocage de plusieurs sites d'information et les récents textes législatifs criminalisant la désinformation et les discours de haine fragilisent la survie des publications satiriques en Algérie, qui possède une solide tradition de caricatures et d'humour politiques.