WASHINGTON : Un "désastre prévisible", "un chaos tragique": Joe Biden affronte l'une des plus grandes épreuves de son début de mandat avec la débâcle en Afghanistan, où les talibans avancent vers Kaboul.
La semaine avait pourtant démarré dans une excellente humeur à la Maison Blanche, où l'on célébrait le large soutien au Sénat pour le plan Biden d'investissements "historiques" dans les infrastructures.
Elle s'achève sous une avalanche de critiques pendant qu'en Afghanistan, les talibans sont pratiquement arrivés aux portes de Kaboul et que Washington prévoit l'évacuation en catastrophe de ses diplomates, protégée par le déploiement de 3 000 militaires américains.
L'administration Biden a "livré, comme c'était prévisible, un pays entier aux terroristes", a tonné vendredi le chef des républicains à la Chambre des représentants Kevin McCarthy.
Même s'il reconnaît à demi-mot que le retrait avait été lancé par Donald Trump après vingt ans de guerre, ouverte en réponse aux attentats du 11-Septembre, ce dernier accuse le président démocrate d'avoir précipité la crise en "bâclant" cette opération.
La veille, son homologue au Sénat Mitch McConnell avait aussi fustigé un "désastre prévisible" en l'appelant a soutenir l'armée afghane face aux talibans avec, en premier lieu, un appui aérien.
L'ex-président républicain s'est lui fendu d'un communiqué vendredi pour dénoncer "un chaos tragique".
Signe de l'ampleur de la crise: si les voix les plus féroces viennent du côté républicain, les critiques pleuvent aussi du côté de médias généralistes d'ordinaire plus bienveillants avec Joe Biden.
Manque de préparation?
"La probabilité que les talibans prennent complètement le contrôle et dirigent le pays en entier est très improbable": sur CNN, les images de cette déclaration présidentielle datant de début juillet tournent en boucle.
"Les vies afghanes détruites ou perdues resteront inscrites dans l'héritage" politique du démocrate, a asséné le Washington Post dans un éditorial jeudi.
Andrew Wilder, un expert sur l'Afghanistan membre du centre de réflexion "US Institute of Peace", confiait à des journalistes vendredi avoir été, comme beaucoup, "surpris par la vitesse à laquelle la situation a changé" dans ce pays, en déplorant un retrait qui ne serait ni "structuré ou responsable".
"Il est difficile de ne pas conclure que ce n'est pas le retrait américain mais plutôt la façon dont nous nous sommes retirés, qui a joué un rôle crucial dans tout cela."
C'est sous Donald Trump que les Etats-Unis avaient, le 29 février 2020, signé un accord avec les talibans dans lequel Washington s'engageait à retirer l'ensemble des forces américaines d'Afghanistan avant le 1er mai 2021.
En avril, Joe Biden avait confirmé le retrait militaire total, en repoussant initialement la date au 11 septembre, puis au 31 août.
Pari risqué
Connu pour son empathie, le septuagénaire montre sur ce volet une distance remarquée.
Mardi, il avait affirmé ne pas regretter sa décision, en rappelant le coût de cette longue guerre, plus de 1 000 milliards de dollars en vingt ans et près de 2 500 militaires américains morts.
Les Afghans "doivent avoir la volonté de se battre" pour eux-mêmes, avait-il martelé.
Lui qui dit garder avec lui en permanence une feuille où est inscrit le nombre de militaires américains morts en Afghanistan et en Irak aime aussi à rappeler qu'il est le "premier président depuis 40 ans à savoir ce que c'est d'avoir un enfant qui sert en zone de guerre". Son fils Beau Biden, décédé d'un cancer en 2015, avait été envoyé en Irak.
Multipliant encore vendredi les messages sur ses projets titanesques d'investissements, la Maison Blanche semble faire le pari, risqué, que les Américains continueront à soutenir ce retrait, populaire jusqu'ici dans les sondages.
"Le président Biden doit être salué pour avoir la force de s'opposer à ceux qui veulent des guerres sans fin", a écrit vendredi l'organisation progressiste d'anciens combattants VoteVets.
Pour Brian Katulis, du think tank classé à gauche Center for American Progress, la future opinion des Américains reste "vraiment imprévisible".
"Si l'on voit une série d'atrocités qui ne frappent que les Afghans", l'indifférence pourrait l'emporter, explique-t-il. "Mais si des Américains sont impliqués, alors tout est possible."