BEYROUTH : Le gouvernement libanais a fustigé la Banque centrale jeudi en raison de sa décision de mettre fin aux subventions sur le carburant qui ont épuisé les réserves en devises. Il a affirmé que les prix ne doivent pas changer, et que lesdites subventions doivent être maintenues jusqu'à ce que des mesures soient mises en place pour aider les plus démunis.
Pris entre deux positions officielles contradictoires, les importateurs de carburant ont demandé des éclaircissements. L’un d’eux a même prévenu que d'énormes pénuries de carburant sont à prévoir à cause de l’approvisionnement insuffisant.
La perte des subventions sur le carburant ouvre une nouvelle phase dans la crise financière qui a fait chuter la valeur de la monnaie libanaise de plus de 90 % depuis 2019, et plongé plus de la moitié de la population dans la pauvreté.
Depuis le début de la crise, la Banque centrale subventionne en réalité le carburant en piochant dans ses réserves en dollars. L’objectif est de financer les importations à des taux de change bien inférieurs à ceux du marché parallèle.
La Banque centrale a justifié sa décision de fournir des dollars aux taux du marché. Elle rappelle avoir expliqué au gouvernement il y a un an qu'une nouvelle loi serait nécessaire afin de puiser dans les réserves obligatoires. Ces dernières sont des portions des dépôts bancaires qui doivent être préservée par la loi.
Le conflit public au sommet de l'État libanais démontre l’incapacité de l'élite dirigeante à mettre en place des politiques pour sortir le pays de sa pire crise depuis la guerre civile de 1975-90, alors même que les réserves de carburant et de médicaments sont épuisées.
Les importateurs de pétrole signalent le gouvernement a déclaré que les produits pétroliers devraient continuer à être vendus à des prix indexé sur un taux de change subventionné, mais que la Banque centrale va se contenter désormais d’ouvrir des lignes de crédit pour leur permettre d’importer au taux du marché.
Le même taux de change doit s'appliquer à l'achat et à la vente, selon eux. «Nous attendons qu'ils tirent l'affaire au clair, qu'ils communiquent leurs intentions», affirme Maroun Chammas, membre de l'Association des sociétés d'importation de pétrole.
La décision de la Banque centrale a provoqué un nombre de manifestations, bien que les prix du carburant soient restés inchangés jeudi, et que de nombreuses stations-service aient été fermées.
Après une réunion d'urgence du cabinet intérimaire, le gouvernement a affirmé la nécessité de maintenir les subventions et que les mesures pour les rationaliser ne devraient commencer que lorsque les cartes de paiement prépayées pour les plus démunis, approuvées par le Parlement en juin, auront été déroulées.
Le gouvernement a également souligné qu'il ne devait pas y avoir de changement dans les prix des produits pétroliers raffinés.
La déclaration du gouvernement n'explique toutefois pas comment ce serait possible si la Banque centrale arrête de fournir des dollars à des taux de change subventionnés.
Le gouvernement a aussi accusé le gouverneur Riad Salamé d'agir unilatéralement.
«Ils nous ont tout fait perdre au Liban : pas de carburant, pas d'électricité, pas d'eau, rien. Les loyers des maisons coûtent maintenant des millions. Que faire à présent?» se demande Houssein Ibrahim, qui manifestait contre la décision à Saïda.
Le président Michel Aoun a convoqué Salamé au palais présidentiel pour une réunion au cours de laquelle le gouverneur a refusé de faire machine arrière. Il affirme que l'utilisation des réserves obligatoires exige une nouvelle loi, selon une source ministérielle.
La source a révélé que l'idée d'un projet de loi a été discutée lors de la réunion du cabinet, et que le gouvernement va en préparer le texte.
«Le pays ne peut pas supporter les conséquences désastreuses de ce type de décision», a averti Diab au début de la réunion du cabinet.
«Les dommages qu’elle peut occasionner sont bien plus importants que les gains de la protection des réserves obligatoires de la Banque centrale», car ceci mène le pays dans l'inconnu.
Les députés du puissant parti musulman chiite, le Hezbollah, ont rejeté la décision de Salamé, faisant écho à l'idée que les cartes prépayées doivent être distribuées avant toute action sur les subventions.
La subvention au carburant coûte environ $3 milliards par an.
La Banque centrale explique avoir dépensé plus de 800 millions de dollars en carburant le mois dernier. Pourtant, la facture des médicaments s'est multipliée, et ils sont soit absents du marché, soit vendus à des prix qui dépassent leur valeur.
Les esprits se sont échauffés parmi les automobilistes qui faisaient la file pendant des heures pour l'essence, souvent incapables de faire le plein.
Trois hommes sont morts lundi dans des altercations liées à la pénurie du carburant.
La Banque centrale a annoncé mercredi qu'elle offrira des lignes de crédit pour les importations de carburant au prix du marché plutôt que des taux de change subventionnés.
Non subventionné, le prix de l'essence à indice d'octane 95 était projeté à plus de quatre fois son prix précédent dans un barème rapporté par une société de diffusion
Plus récemment, la Banque centrale avait accordé des crédits pour les importations de carburant à un taux de 3 900 LL pour 1$, contre un taux du marché parallèle de plus de 20 000 LL.
Les réserves sont passées de plus de $40 milliards en 2016 à $15 milliards en mars dernier.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com