KABOUL, AFGHANISTAN : Le président afghan, Ashraf Ghani, est arrivé mercredi à Mazar-i-Sharif, la grande ville du nord de l'Afghanistan assiégée par les talibans, pour tenter de coordonner la riposte face aux insurgés qui contrôlent désormais plus d'un quart des capitales provinciales du pays.
Les talibans ont conquis dans la nuit Faizabad, capitale de la province du Badakhshan, dans laquelle ils n'avaient jamais pu pénétrer lors de leur ascension vers le pouvoir dans les années 1990.
Ils contrôlent désormais neuf des 34 capitales provinciales de l'Afghanistan, toutes tombées comme des dominos, dont sept situées dans le nord au pays, une région qui leur avait pourtant toujours résisté.
Les forces de sécurité "ont quitté Faizabad et se sont retirées (dans des districts proches). Les talibans ont maintenant pris la ville. Les deux camps ont subi de fortes pertes", a déclaré à l'AFP Zabihullah Attiq, député du Badakhshan.
Mardi, les talibans avaient saisi Farah, dans l'ouest, et Pul-e-Khumri, dans le nord, à 200 km de Kaboul. Depuis vendredi, ils ont enchaîné les prises: Zaranj (sud-ouest), Sheberghan (nord), fief du célèbre chef de guerre Abdul Rachid Dostom, et surtout Kunduz, la grande ville du nord-est, ainsi que trois autres capitales septentrionales, Taloqan, Sar-e-Pul et Aibak.
La situation devenant critique dans le nord du pays, où les forces de sécurité paraissent complètement démoralisées, le président Ghani s'est rendu mercredi à Mazar-i-Sharif, vers laquelle les talibans tournent désormais toute leur attention.
Il devait y "vérifier la situation sécuritaire générale dans la zone nord" et "rencontrer des responsables sécuritaires, des dirigeants jihadistes, des notables et d'autres personnalités influentes", a indiqué le palais présidentiel dans un communiqué.
«Les Afghans doivent se battre»
M. Ghani devait ainsi vraisemblablement s'entretenir avec Mohammad Atta Noor, l'ex-gouverneur de la province de Balkh, dont Mazar-i-Sharif est la capitale, homme fort depuis longtemps du nord, qui a promis de résister "jusqu'à la dernière goutte de sang", ainsi qu'avec Abdul Rachid Dostom, son ancien vice-président.
Des images publiées dans la nuit sur les réseaux sociaux montraient le maréchal Dostom, puissant dirigeant d'ethnie ouzbèke, embarquer dans un avion pour Mazar-i-Sharif avec un large contingent d'hommes armés.
Les talibans, qui convergent de plusieurs directions vers Mazar-i-Sharif, ont attaqué mardi des quartiers à la périphérie immédiate de la ville, mais ont été repoussés, selon un journaliste de l'AFP sur place.
La perte de Mazar-i-Sharif serait catastrophique pour le gouvernement, qui n'aurait plus aucun contrôle sur toute la moitié nord du pays. Cela permettrait aussi aux talibans de reporter leurs efforts sur d'autres régions et peut-être même sur la capitale Kaboul.
Les talibans ont lancé leur offensive en mai, au début du retrait final des troupes américaines et étrangères, mais leur avancée s'est accélérée ces derniers jours avec la prise de plusieurs centres urbains.
Le départ des forces internationales doit être achevé d'ici le 31 août, vingt ans après leur intervention dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
"Je ne regrette pas ma décision" de quitter l'Afghanistan, a assuré mardi le président américain, Joe Biden. Les Afghans "doivent avoir la volonté de se battre" et "doivent se battre pour eux-mêmes, pour leur nation".
Washington agacé
Washington cache de moins en moins son agacement face à la faiblesse de l'armée de Kaboul, que les Américains forment, financent et équipent depuis des années.
Le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a ainsi souligné que les forces gouvernementales étaient "très supérieures en nombre" aux talibans, et qu'elles avaient "le potentiel d'infliger des pertes plus importantes". "Cette idée que l'avancée des talibans ne peut pas être arrêtée", "ce n'est pas la réalité du terrain", a-t-il estimé.
Alors que les combats font aussi rage dans le sud, autour de Kandahar et dans Lashkar Gah, Doha a accueilli mardi une réunion internationale avec des représentants du Qatar, des États-Unis, de Chine, du Royaume-Uni, de l'Ouzbékistan, du Pakistan, des Nations unies et de l'Union européenne.
Les échanges se prolongeaient mercredi, l'émissaire américain, Zalmay Khalilzad, devant exhorter les talibans "à cesser leur offensive militaire et à négocier un accord politique".
Le processus de paix entre le gouvernement afghan et les talibans s'est ouvert en septembre dernier au Qatar, dans le cadre de l'accord conclu en février 2020 entre les insurgés et Washington prévoyant le départ total des troupes étrangères d'Afghanistan. Mais les discussions sont au point mort.
Les violences ont poussé des dizaines de milliers de civils à fuir leur foyer dans tout le pays, les talibans étant accusés de nombreuses atrocités dans les endroits passés sous leur coupe.
Abdulmanan, un déplacé de Kunduz, a confié avoir vu les talibans décapiter un de ses fils, sans savoir "si son corps a été mangé par les chiens ou enterré".
Quelque 359.000 personnes ont été déplacées en Afghanistan à cause des combats depuis le début de l'année, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).