PARIS: L'exécutif entend mettre à son crédit le feu vert du Conseil constitutionnel à l'extension du pass sanitaire, même s'il faut encore franchir l'étape de l'application sur le terrain et que de nouvelles manifestations d'opposants sont prévues samedi.
Emmanuel Macron s'est mis en première ligne depuis le début de la semaine en égrainant sur les réseaux sociaux une douzaine de vidéos pédagogiques, en mode selfie, où il a répondu à des questions des internautes sur la vaccination et le pass. Bilan: déjà près de 50 millions de vues.
Il s'agissait de reprendre la main au lendemain de manifestations aux rangs toujours plus fournis - ils étaient plus de 200 000 partout en France à protester contre le pass sanitaire le week-end dernier selon le ministère de l'Intérieur - et dont la virulence, voire la violence, autant que l'apparente absence de leaders et la capacité à agréger les colères inquiète les autorités.
La situation n'en est pas moins paradoxale, puisque la loi a été votée à la fois par l'Assemblée nationale et le Sénat, à majorité de droite, en cantonnant les oppositions les plus véhémentes au RN et à LFI, dont les leaders Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se refusent à se joindre aux cortèges du samedi.
En préemptant la communication politique, l'exécutif estime avoir réussi son pari, auréolé du blanc-seing des juges suprêmes.
Surtout, l'Élysée et Matignon se félicitent de la poursuite du "sprint vaccinal", qui depuis le discours du chef de l'État le 12 juillet garde un rythme soutenu autour de 600 000 injections par jour. Déjà plus de 43 millions de Français ont reçu au moins une dose.
Un chiffre qui relativise largement selon eux les rassemblements d'opposants et démontre le succès de la méthode choisie.
Même la censure - inattendue - de l'article qui prévoyait l'isolement des malades, jugé "disproportionné" par le Conseil constitutionnel, n'est pas apparue comme un véritable camouflet, tant la disposition n'était pas au cœur des débats.
Le gouvernement rappelle par ailleurs que les voisins européens adoptent aux aussi le pass sanitaire: l'Italie a mis en place le sien vendredi, l'étendant même aux enseignants, à l'instar de la Grèce, l'Autriche, le Portugal et certaines régions espagnoles et allemandes.
«Rodage»
Pour autant, l'exécutif n'a pas levé toutes les hypothèques. À commencer par les nouveaux appels à manifester samedi dans 150 villes. À Paris, où environ 10 000 personnes sont attendues, quatre cortèges sont prévus.
"La contestation, toute relative, tient d'une part au stop and go permanent de l'exécutif, qui alterne entre grandes annonces sur la fin prochaine de l'épidémie et nouvelles mesures restrictives, et d'autre part à un conflit personnel non réglé entre une partie de la population et Emmanuel Macron, ce qu'il symbolise ou représente", analyse le politologue Philippe Moreau-Chevrolet.
Baroud d'honneur ou cristallisation d'un mouvement de fond contre une supposée "dictature sanitaire"? "La décision du Conseil constitutionnel devrait mettre fin aux revendications d'atteintes aux libertés fondamentales, qui sont désormais illégitimes car l'état du droit est fixé. La raison commanderait d'arrêter de prétendre que cette réforme porte atteinte aux libertés individuelles", veut croire l'avocat Patrice Spinosi, spécialiste des libertés publiques.
Mais, pour le professeur de droit public à l'université de Grenoble-Alpes Serge Slama, "le Conseil constitutionnel n'a pas posé de bornes plus importantes pour éteindre les manifestations: il ne dit même pas que c'est important que les tests restent gratuits, ce qui aurait pu être une réserve utile pour différencier ce pass d'une obligation vaccinale."
L'exécutif parie néanmoins sur l'acceptation du pass, en s'appuyant sur une nette majorité de Français favorables au dispositif - 55% selon un sondage Elabe de mercredi.
Alors que de nombreux restaurateurs et cafetiers ont exprimé leurs réticences, notamment en ce qui concerne les terrasses, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a promis vendredi "une semaine de rodage".
"C'est un outil nouveau pour un certain nombre de professionnels, il faut qu'ils puissent se l'approprier", a expliqué le porte-parole, en assurant que le gouvernement "n'ignore pas" l'"impact" du pass en termes d'organisation au quotidien.
Un «cas de conscience» pour les chefs d'entreprise, selon le Medef
L'application de la loi sur le pass sanitaire "sera un cas de conscience" pour les chefs d'entreprises, a estimé vendredi Patrick Martin, président délégué du Medef, interrogé sur franceinfo.
"Le fait est que ce sera très compliqué pour une entreprise (...) d'engager une procédure de licenciement contre un salarié qui ne se conformerait pas au pass sanitaire", constate M. Martin. Mais par ailleurs les dirigeants d'entreprises voudront protéger salariés, clients et autres contacts.
"Donc ce sera un cas de conscience pour les chefs d'entreprise. Moi je ne pense pas que massivement les chefs d'entreprise joueront avec cette réglementation", a-t-il avancé.
D'autant que la période est difficile pour le recrutement. "Les entreprises hésiteront donc à se séparer d'un salarié, a fortiori d'un salarié qui par ailleurs donne satisfaction", a-t-il expliqué.
Patrick Martin a rappelé que son organisation soutenait le pass sanitaire. Même s'il est d'ores et déjà clair que l'activité a baissé dans les premiers établissements à l'appliquer (parcs d'attraction, cinémas), mais "entre cela et un reconfinement, très sincèrement on préfère gérer les petits problèmes de mise en place du pass sanitaire", a-t-il conclu.