PARIS: "Équilibré" pour l'exécutif, "disproportionné" pour ses adversaires: le projet de loi visant à contrer la flambée de l'épidémie de Covid-19, avec l'extension controversée du pass sanitaire, attend jeudi le verdict du Conseil Constitutionnel.
L'avis en fin d'après-midi des Sages de la rue de Montpensier conditionne la mise en œuvre, totale ou en partie, de la stratégie du gouvernement. Mais il pourrait influencer aussi la mobilisation et les arguments de ceux qui dénoncent un texte "liberticide".
Le texte a été adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat le 25 juillet, au terme de six jours de débats houleux et de plusieurs inflexions.
Le Conseil constitutionnel a ensuite été saisi par le gouvernement et trois groupes de plus de 60 parlementaires chacun – deux de sénateurs et un de députés.
S'il est validé, en totalité ou pour l'essentiel, par le garant de la Constitution et des libertés fondamentales, l'exécutif a promis une entrée vigueur rapide.
L'extension du pass sanitaire aux cafés, restaurants, foires, salons professionnels, voyages en avion ou longs trajets en train est prévue lundi par le gouvernement. Idem pour les établissements médicaux, sauf urgence, ou encore, sur décision préfectorale, les centres commerciaux.
Un rejet du texte ou de ses principales dispositions constituerait à l'inverse un revers majeur pour le pouvoir, qui serait contraint de l'abandonner ou de soumettre une nouvelle mouture aux deux chambres. Et une victoire de taille pour ses opposants.
Entre les deux, le Conseil constitutionnel peut se contenter de censurer certaines dispositions ou modalités techniques, qui pourraient être alors retirées du texte à promulguer.
Mesures sensibles
Outre le pass sanitaire et son contrôle étendu aux cafés-restaurants, les Sages doivent passer en revue nombre d'autres mesures sensibles: isolement des personnes contaminées, vaccination obligatoire de certains personnels dont les soignants et sanctions contre les salariés réfractaires.
Le 31 mai, le Conseil constitutionnel avait déjà approuvé le principe du pass sanitaire -justificatif de vaccination, test négatif à la Covid-19 ou attestation de rétablissement-, mais ce dispositif était à l'époque limité aux grands rassemblements comme les festivals.
L'Élysée s'est dit "pas inquiet" du sort qui sera réservé à ce texte "équilibré", voté et "enrichi" à l'Assemblée et au Sénat, dominé par l'opposition de droite.
"En outre, nous estimons qu'il y a une bonne dynamique, avec la campagne de vaccination qui suit son cours" et "les appels forts du président à se faire vacciner pour les jeunes", estime la présidence, en référence aux interventions d'Emmanuel Macron sur les réseaux Tik Tok et Instagram.
"Cet accroissement de la vaccination va de pair avec l'extension du pass sanitaire" et donc "sous sommes plutôt confiants".
La cheffe des députés socialistes Valérie Rabault, qui ont avec leurs collègues communistes et de la France insoumise déposé l'un des recours, a réaffirmé sur LCI ses objections au pass sanitaire, défendant plutôt une vaccination obligatoire.
"On demande à des salariés, les serveurs des restaurants, des cafés, d’effectuer eux-mêmes le contrôle; ce n’est pas leur travail. On demande à des bénévoles qui organisent des manifestations l’été eux aussi d'effectuer ce contrôle; ce n’est pas leur travail, ce n’est pas leur responsabilité".
Il faut "que l'État remplisse ses missions", qu'il "assume ses missions régaliennes", poursuit Mme Rabault.
L'une des figures de proue des manifestations antipass sanitaire, l'ex-numéro deux du FN Florian Philippot, a de son côté déclaré "qu'il y a beaucoup de principes constitutionnels qui sont foulés aux pieds par cette loi".
Mais "jusqu'ici sur la crise Covid le Conseil constitutionnel ne s'est pas fait remarquer pour ses capacités à aller contre les décisions du gouvernement, c'est le moins qu'on puisse dire. Je n'ai pas un énorme espoir pour jeudi", a-t-il ajouté.
Selon un sondage Elabe pour l'Institut Montaigne, Radio Classique et le journal Les Echos, 48% des Français désapprouvent les manifestations contre le pass sanitaire, 37% les soutiennent et 15% sont indifférents.
Une majorité (55% à 63% selon qu'il s'agit d'accéder à un restaurant ou à un train) se déclare également disposée à présenter ce pass si demandé, et 61% (contre 39%) se dit favorable à la vaccination obligatoire, selon ce sondage diffusé mercredi.
Cette décision intervient en pleine nouvelle vague de l'épidémie en France: Le nombre de patients Covid a plus que triplé en une semaine: 8 134 patients dans les hôpitaux mercredi (contre 2 511) et 1 371 patients en soins critiques (contre 992). Près de 54% de la population a un schéma vaccinal complet.
Le Conseil constitutionnel, une importance croissante
Du contrôle du Parlement à la QPC
Créé en 1958, son rôle consistait au départ, dans la pratique, à veiller à ce que le Parlement n'outrepasse pas ses pouvoirs. Mais en 1971, en censurant une loi restreignant la liberté d'association, il a élargi son champ d'action à la conformité des lois aux grands principes de la République.
Depuis une réforme constitutionnelle votée en 1974 à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing, 60 députés ou sénateurs peuvent le saisir d'une loi que vient de voter le Parlement, pouvoir réservé précédemment au chef de l'État, au Premier ministre ou aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Enfin, depuis la révision constitutionnelle de 2008 initiée par Nicolas Sarkozy, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel, à travers le filtre du Conseil d'État et de la Cour de cassation, d'une loi existante sur laquelle le juge suprême ne s'est jamais prononcé. C'est la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Neuf «Sages»
Actuellement présidé par l'ancien Premier ministre Laurent Fabius, le Conseil se compose de neuf membres nommés - souvent désignés par le terme de "Sages" - auxquels s'ajoutent les anciens chefs d'État, membres de droit à vie.
Depuis la mort de Valéry Giscard d'Estaing, plus aucun ancien président de la République n'y siège. Nicolas Sarkozy n'assiste plus aux séances depuis janvier 2013 et François Hollande n'y a jamais siégé.
Le mandat des juges, non renouvelable et incompatible avec tout autre, est d'une durée de neuf ans. Le Conseil est renouvelé par tiers tous les trois ans.
Trois membres, dont le président, sont nommés par le président de la République, trois par le président de l'Assemblée nationale et les trois autres par celui du Sénat. Ces nominations ne sont valables que si une majorité des 3/5es des commissions compétentes de l'Assemblée ou du Sénat ne s'y oppose pas.
Aucun recours possible
Toutes les lois, sauf celles adoptées par référendum, peuvent lui être soumises.
Le Conseil constitutionnel est automatiquement saisi au bout d'un mois en cas de recours du chef de l'État aux pleins pouvoirs (article 16 de la Constitution).
Le Conseil peut être saisi pour le contrôle des traités ou engagements internationaux de la France.
Les lois organiques (relatives à l'organisation des pouvoirs publics) lui sont automatiquement transmises.
Pour rendre ses décisions, le Conseil dispose d'un délai d'un mois à compter de sa saisine, délai ramené à 8 jours si le gouvernement déclare l'urgence.
Le Conseil a également pour mission de veiller à la régularité des élections présidentielle, législatives et sénatoriales, ainsi que des référendums.
Pour l'élection présidentielle, il reçoit les candidatures et établit la liste des candidats, surveille les opérations électorales, statue sur toutes les réclamations avant de proclamer les résultats.
Pour les législatives et sénatoriales, il est non seulement chargé du contentieux électoral, mais aussi du contrôle des inéligibilités et des incompatibilités.
Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours.